cliquer sur Textes disponibles en français
Ora et Labora 2005
Soeur Marie-Cécile MININ osb ap
Mectilde de Bar et les docteurs de la Sorbonne
Dans un contexte miné par la crise gallicane d’une part, et janséniste d’autre part, Mère Mectilde de Bar fonde, à partir de 1663, plusieurs monastères de Bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement qui sont regroupés en une Congrégation placée sous l’autorité du Saint-Siège et dont les monastères sont exempts de la juridiction épiscopale. En France, en effet, le jeune roi louis XIV, dans un milieu de plus en plus imbu par les doctrines gallicanes, entre à partir de 1662 en conflit avec le pape Alexandre VII, conflit qui culminera en 1687 avec Innocent XI.
Tout en gardant un œil attentif sur les vicissitudes de son époque, Mère Mectilde a pour principal objectif la consolidation de l’observance dans ses monastères, agissant seulement après avoir pris conseil auprès de « gens doctes ». C’est ainsi que le 15 décembre 1666, elle écrit, au sujet des Constitutions, aux moniales de Rambervillers, qui viennent d’être agrégées à l’ Institut : « Je ne veux et ne cherche que le bien général et particulier de tout l’Institut. Je ne fais rien qu’avec les conseils des personnes éclairées et expérimentées en telles affaires. Il se doit encore faire une assemblée, le 16 ou le 17 du mois prochain, de douze ou quinze docteurs savants et gens de haute piété pour prendre leurs avis et leurs approbations » [1] sur les Constitutions en cours d’élaboration.
En 1682, à la demande de Louis XIV, l’Assemblée du Clergé promulgue une Déclaration en Quatre Articles, rédigée par Bossuet, qui entend présenter la doctrine de France sur la souveraineté des rois et la puissance ecclésiastique. Par cette promulgation, l’Assemblée ne reconnaît qu’une dimension exclusivement spirituelle au pouvoir pontifical, veut imposer la supériorité des conciles sur le pape ainsi que la légitimité des coutumes en vigueur dans l’Eglise de France. Bien que la Faculté de théologie de la Sorbonne n’ait pas été directement associé à l’élaboration des Quatre Articles, elle était bien représentée puisque la majorité des participants, évêques et députés du second ordre, étaient ses docteurs. Certains docteurs de Sorbonne sont favorables aux thèses gallicane, d’autres se montrent plus réservés. Quant aux docteurs de tendance ultramontaine, ils opposent une résistance à l’enregistrement des Quatre Articles par la Sorbonne, ainsi qu’à l’enseignement de leur contenu.
Même si Mère Mectilde demeure étrangère à toutes ces polémiques, les remous qui sont en train de secouer la France en général, et les docteurs de Sorbonne en particulier, auront aussi leur incidence sur le développement d’une Congrégation en pleine expansion. Au cours de ses fondations, Mère Mectilde est amenée plus d’une fois à entretenir une correspondance et à rencontrer des évêques et des ecclésiastiques qui ont en commun d’être, justement, docteurs de la Sorbonne.
1) Mgr Charles de Bourlon (1613-1685)
Charles de Bourlon est né à Paris en 1613. Docteur en théologie de la Sorbonne en 1640, il devient le coadjuteur de l’évêque de Soissons sur nomination royale en 1652 et est sacré à Paris le 2 février 1653. Il prend la direction du diocèse de Soissons le 28 octobre 1656. Dans les affaires jansénistes il exige de son clergé la signature du formulaire de soumission au pape. Il confie son séminaire aux Oratoriens. Il sollicitera aussi la canonisation de François de Sales.
En 1663, Mgr Charles de Bourlon accepte d’apporter son soutien à la demande d’érection de la Congrégation fondée par Mère Mectilde en écrivant un certificat qui est un témoignage éloquent de son estime pour elle. Il insiste surtout sur le but pour lequel cette demande d’érection est faite : « maintenir l’adoration perpétuelle dans les monastères de l’Institut ». C’est ainsi qu’il certifie :
Nous, Charles, par la grâce de Dieu Evêque de Soissons, certifions à tous qu’il appartiendra, que les Religieuses du Très Saint Sacrement, établies au faubourg St Germain de Paris, vivent non seulement dans une louable et étroite observance de la règle de St Benoît sous laquelle elles sont établies, mais encore ont établi parmi elles l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l’Autel, à laquelle elles s’appliquent jour et nuit, successivement, les unes après les autres, en qualité de victime, pour amende honorable à la sainte eucharistie, en réparation de toutes les injures qui lui ont été faites dans la licence des guerres, et dans tous les autres temps où la fureur des hérétiques et impiété des libertins ont déshonoré ce sacré Mystère.
C’est pourquoi nous estimons qu’en réparation de tant de sacrilèges qui ont profané la Sainteté des Autels, il serait à désirer de pouvoir établir, sous l’autorité du Saint Siège, une Congrégation pour maintenir cette adoration perpétuelle dans tous les monastères du même Institut, ou autres couvents du même Ordre qui voudront s’y agréger.
En foi de quoi nous avons signé le présent certificat, après y avoir fait apposé le scel de nos armes, pour servir aux dites religieuses partout où elles aviseront bon être.
Fait à Soissons en notre palais épiscopal, ce dix-neuvième jour du mois de juin, l’an mil six cent soixante trois.
Signé : Charles, Evêque de Soissons.
Par commandement de Monseigneur l’illustrissime et révérendissime Evêque de Soissons : C. Baublan.[2].
Ce certificat, joint à ceux des évêques d’Evreux et de Rennes, est annexé à une lettre envoyée par la Reine Mère Anne d’Autriche au pape Alexandre VII en 1663. Une autre lettre est adressée, cette même année, au cardinal Ginetti, préfet de la congrégation des Religieux. Malheureusement la mort d’Alexandre VII et aussi celle d’Anne d’Autriche interrompent le processus de demande d’érection qui ne sera repris qu’en 1668.
Quant à Mgr Charles de Bourlon, il s’éteint le 25 octobre 1685 à Château-Landon[3].
2) Mgr Hardouin de Péréfixe de Beaumont ( 1605-1671)
Docteur de la Sorbonne en 1640, Hardouin de Péréfixe de Beaumont fut le précepteur de Louis XIV. En 1648 il devient Evêque de Rodez. En 1661, mandaté par le roi, il présente avec l’évêque de Rennes, Mgr Henri de la Motte de Houdancourt, aux docteurs de Sorbonne assemblés, le formulaire de soumission aux condamnations du jansénisme établi par l’Assemblée du Clergé que ceux-ci reçoivent sans discussion.
En février 1663 Hardouin de Péréfixe de Beaumont est nommé archevêque de Paris. Il est aussi élu Proviseur [4] de Sorbonne. Le 8 mai il conduit une délégation de douze docteurs qui présentent « au roi La Déclaration de la S. Faculté de Théologie de Paris…sur certaines propositions que quelques-uns ont voulu attribuer à la même Faculté. Le prélat assura le monarque du zèle de la Faculté à la défense des droits de la Couronne », ce qui laisse apparaître ses tendances gallicanes. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1664 qu’il reçoit ses Bulles de nomination comme archevêque de Paris.
En 1666 P. Nicole et Antoine Arnault, docteur de Sorbonne janséniste et frère de l’abbesse de Port-Royal publient l’Apologie pour les religieuses de Port-Royal considérée comme injurieuse envers Mgr Hardouin de Péréfixe, et opposée à la doctrine de l’Eglise. « Il s’agissait d’une attaque assez violente du comportement de l’archevêque vis à vis de cette communauté monastique, et surtout d’une attaque de l’argumentation théologique de son récent mandement, concernant l’adhésion de « foi humaine » aux décisions du magistère ecclésiastique » [5]. Arnault sera finalement exclu pour un temps de la Sorbonne.
En mai 1668 le Cardinal de Vendôme est à Paris en qualité de légat a latere du Saint-Siège. Mère Mectilde, après avoir pris conseil, décide de demander des Bulles de confirmation des Constitutions de sa Congrégation en attendant celles qu’elle espère du Saint-Siège. C’est ainsi que le 29 mai, la Congrégation des Bénédictines de l'Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement est approuvée par le Cardinal de Vendôme qui accepte d’en être le premier Supérieur Protecteur. Les Bulles d’érection et approbation sont expédiées à Mère Mectilde le 4 juin par l’abbé Bonfils, auditeur et secrétaire de la légation. Le 25 août elles sont présentées au Révérend Père Prieur de l’Abbaye Saint-Germain, supérieur ordinaire en tant que Grand Vicaire de Monseigneur de Metz, abbé de Saint-Germain des Prés, qui donne son consentement afin qu’elles aient leur plein et entier pouvoir.
Le monastère de la rue Cassette qui se situe sur le territoire de l’abbaye de Saint-Germain se trouve sous la juridiction de celle-ci et non sous celle de l’archevêque de Paris. Mais cela ne dure pas. En effet, le 20 septembre suite à la cession de la juridiction de la part de l’abbé de Saint Germain à l’archevêque de Paris sur tout le faubourg Saint-Germain, sauf l’abbaye qui en demeure exempte, le monastère de la rue Cassette passe sous la juridiction de l’archevêque de Paris. La situation devient donc délicate pour la communauté de la rue Cassette qui vient d’obtenir les Bulles d’érection de la Congrégation mais doit les faire enregistrer de nouveau auprès de Mgr de Péréfixe, archevêque de Paris.
De plus, lors de la ratification par le pape de tout ce que le Cardinal de Vendôme a fait durant sa légation il apparaît que les Bulles de confirmation ne seraient accordées qu’à la condition que l’archevêque de Paris demeure Supérieur ordinaire, car en dépit d’antiques institutions, le concile de Trente avait renforcé le pouvoir épiscopal sur les maisons de religieuses. L’évêque devait veiller sur la régularité des communautés et s’il le fallait intervenir pour favoriser le respect des observances et de la clôture. Rencontrant des résistances dans les instituts anciens, l’autorité épiscopale s’affermit au contraire de manière plus nette vis-à-vis des nouvelles fondations [6], comme c’est le cas pour le monastère de la rue Cassette.
Face à cette situation, Mère Mectilde préfère surseoir à la demande de ratification en attendant des temps meilleurs. Et contre toute attente, en octobre 1669 après avoir pris connaissance de ce qu’il y avait déjà de fait pour la congrégation, Mgr de Péréfixe donne enfin son consentement et accepte d’être un des trois Supérieurs Protecteurs de la Congrégation en remplacement du Cardinal de Vendôme décédé en août 1669. Voici le texte de cet acte :
Nous, Hardouin de Péréfixe, Archevêque de Paris, etc.…
Ayant vu et considéré les très humbles et instantes suppliques à nous faites, par les Prieures et religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement de l’autel, des monastères de Paris, Toul, Rambervillers et Nancy, de vouloir agréer et approuver l’usage des Bulles à elles données, et des Constitutions confirmées par Mr le Légat de Vendôme, Légat Apostolique, pour agréer et unir en Congrégation les dits monastères ci-dessus nommés, et d’en vouloir être le premier et principal Supérieur Protecteur, Nous, voulant bénignement favoriser un dessein qui nous paraît d’autant plus excellent qu’il ne tend par tous ses emplois et fonctions, qu’à honorer incessamment le Fils de Dieu dans le plus auguste de nos Mystères, et à réparer par des hommages continuels la gloire que le crime lui ravît tous les jours ; et pour témoigner à Madame la Duchesse d’Orléans le zèle et (le) respect avec lequel nous accomplissons ses désirs, nous avons par ces présentes agréé et agréons, approuvé et approuvons, l’usage et pratique des Bulles et Constitutions susdites, données et confirmées par Mr le Cardinal de Vendôme, Légat Apostolique, voulons et consentons que les dites Prieures et religieuses des monastères de Paris, Toul, Rambervillers, Nancy, et autres qui pourront à l’avenir s’unir en ladite Congrégation jouissent des grâces, privilèges et bénédictions (contenues) ès Bulles et Constitutions susdites, acceptant pour effet la qualité de premier Supérieur et protecteur de ladite Congrégation, assurant lesdites Prieures et religieuses de notre bienveillance et singulière protection ; et pour confirmer tout ce que dessus et le rendre ferme et stable pour toujours, nous avons signé la présente, à notre palais épiscopal et scellé de notre scel, le huitième octobre mil six cent soixante neuf.
Hardouin Ar. de Paris [7]
En fait Mgr de Péréfixe ne remplira la charge de Premier Supérieur Protecteur que durant deux ans puisqu’il s’éteint en 1671, à l’âge de 66 ans.
3) Mgr François II Harlay de Champvallon (1625-1695)
François Harlay de Champvallon est né le 14 août 1625 à Paris. En 1650, il est député à l’Assemblée du Clergé, et sacré archevêque de Rouen en décembre 1651. En 1659, Mgr François Harlay de Champvallon, alors archevêque de Rouen, intervient pour dénoncer un autre ouvrage d’Antoine Arnault intitulé L’Office du Saint-Sacrement [8].
Alors qu’en 1663 Mère Mectilde prépare une fondation à Rouen, elle écrit à François II Harlay de Champvallon afin de demander les permissions nécessaires à cette fondation. Voici la réponse bienveillante que fait le prélat le 28 mars 1663 :
Madame, ma Révérende Fille,
J’ai reçu avec beaucoup d’estime la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire, qui est un éloge accompli du respect que doivent tous les fidèles au Très auguste Sacrement de l’autel. C’est le centre de la sainteté, de la communion et de la dévotion de tous les chrétiens, par lequel l’Eglise subsiste et se soutient et reçoit les grandes consolations qui lui sont si nécessaires durant l’absence de son époux. Aussi ai-je tâché de répandre dans mon diocèse ces maximes qui entretiennent la piété des âmes dévotes et religieuses, en leur imprimant un grand amour et une profonde vénération pour le corps mystique et pour le corps réel de Notre Seigneur Jésus Christ. (…) Je loue l’éternelle Providence de ce qu’il lui a plu donner à votre religieux Institut un dessein si juste, si chrétien et si agréable à notre Maître. Aussi je serai très aise de voir enrichir mon diocèse d’une portion de ces belles âmes à qui Dieu a donné de tels sentiments. Je n’ai pas manqué de lui en rendre de très humbles actions de grâces dans les derniers sacrifices que je lui ai présentés, pour lui demander la perfection d’une œuvre si utile à sa gloire. (…)
Sur le fondement de cette estime, et comme il faut que le bien se fasse avec ordre afin qu’il puisse subsister longtemps, la charité qui le fait entreprendre étant sage, prudente et réglée, je ne manquerai pas d’employer mes petits soins afin que cela soit exécuté de la sorte, et d’en envoyer toutes les expéditions à Monsieur de Gaumont. Il est éclairé, homme de bien, plein d’un fort grand zèle et estimateur tout particulier de votre vertu. Je n’ai pas sur ce sujet de moindres sentiments que lui, ni moins d’inclination à être toute ma vie en Notre Seigneur, Madame ma Révérende Fille, votre très, etc.. [9]
Il faudra attendre cependant 1677 pour que la fondation à Rouen prenne corps. Entre temps, Mgr François II Harlay de Champvallon joue un rôle important lors de la réforme la faculté de théologie de la Sorbonne en 1670 et succède à Mgr Hardouin de Péréfixe comme archevêque de Paris. Il est licencié en Sorbonne le 12 mars 1671 [10].
La Faculté de Paris, dans son ensemble, ne reconnaît d’autre protecteur que le souverain Pontife. Trois députés, les évêques de Meaux, de Beauvais et de Senlis lui servent de commissaires c’est-à-dire de conservateurs des privilèges apostoliques. Aussi, lorsque plusieurs personnes en appelèrent soit volontairement, soit par hasard, à l’archevêque de Paris, proviseur de Sorbonne, plusieurs membres de la Société de Sorbonne protestèrent.
L’année 1681 marque le premier signal d’un tournant important dans l’histoire de la Faculté de Sorbonne. L’influence de Mgr François II Harlay de Champvallon est considérable dans l’Assemblée du Clergé de 1682 où il favorise les thèses gallicanes et l’accueil des Quatre Articles rédigés par Bossuet. En 1684-1685, alors qu’il est déjà Proviseur de la Maison de Sorbonne, il devient aussi Proviseur de la Maison de Navarre, ce qui fait de lui le Supérieur de la Faculté et il est désormais l’interlocuteur incontournable entre celle-ci et le roi.
L’estime témoignée par Mgr François II Harlay de Champvallon à Mère Mectilde en 1663 ne se dément pas à Paris. Un petit groupe de moniales du monastère de Toul avait été envoyé à Dreux en 1680 en vue d’une nouvelle fondation. Celle-ci n’ayant pu se faire alors et les moniales se trouvant à Paris, il leur conseille de rester dans son diocèse. A cause du nombre de petites communautés réfugiées à Paris depuis des années, Louis XIV ordonne à Mgr François II Harlay de Champvallon de les fermer toutes. Celle dont Mère Bernardine de la Conception à la responsabilité n’est cependant pas comprise, mais elle doit s’établir de manière stable. Cette petite communauté de moniales donnera naissance en 1684 au second monastère de Paris situé rue Saint Louis au Marais [11].
En 1683, la prieure de la Communauté de Liesse, située rue du Vieux Colombier à Paris, avait fait appel à Mère Mectilde pour la réforme de sa communauté tombée en décadence. La mort de la Prieure, et une violente opposition, sous l’influence des jansénistes, obligent, en 1688, Mère Mectilde à rappeler les deux moniales qui avaient été envoyées en ce monastère. Mgr François II Harlay de Champvallon sollicite de nouveau Mère Mectilde en vue d’y envoyer d’autres moniales, tout en déclarant, dans un premier temps, ne pouvoir donner aucune autorité à celles-ci. Mais finalement, grâce aux sollicitations réitérées du Père de Roncherolles, Supérieur de la Communauté de Liesse, Mgr François II Harlay de Champvallon donne l’ordre à Mère Mectilde d’envoyer les moniales. Mais cette seconde tentative se révèle aussi infructueuse et le projet abandonné.
En 1687, Louis XIV est plus que jamais opposé au pape Innocent XI et les relations entre la France et Rome finissent par arriver au point de rupture. Le Procureur général reçoit ordre du roi de faire appel au concile universel. Selon les directives de Louis XIV, Mgr François II Harlay de Champvallon, gallican, engage tout un mouvement où les corps religieux du diocèse sont invités à s’associer à l’appel au concile œcuménique. Le Chapitre de Notre-Dame, les curés de Paris, les maisons séculières et religieuses ne tardent pas à obtempérer. L’affaire ne va cependant pas plus loin.
En 1693 Louis XIV négocie un accommodement avec le Saint-Siège. Mais Mère Mectilde, tout en ayant exhorté les monastères à maintenir une forte union spirituelle entre-eux, a déjà renoncé à la Congrégation dans les faits, même si elle existe encore juridiquement. La Bulle d’Innocent XII, qui replace, à la demande de Mère Mectilde, les monastères sous la juridiction épiscopale, est promulguée en 1696, un an après la mort de l’archevêque gallican qui s’éteint à Conflans le 6 août 1695 [12].
4) Monsieur Charles Mallet
Monsieur Charles Mallet est originaire du diocèse d’Amiens. Docteur de la Sorbonne en 1644, il est chanoine et archidiacre de Rouen lorsque la querelle du Nouveau Testament de Mons éclate et il se révèle hardi anti-janséniste dans un écrit intitulé: Examen de quelques passages de la traduction française du Nouveau Testament imprimée à Mons et De la lecture de l’Ecriture sainte en langue vulgaire. Mallet recommande entre autre de ne pas mettre les traductions françaises des livres saints entre les mains des personnes trop peu instruites pour pouvoir profiter de leur lecture.
Monsieur Charles Mallet a été le compagnon d’étude de François II Harlay de Champvallon qui en fait son Grand vicaire lorsqu’il est nommé archevêque de Rouen. Mais il ne semble pas le suivre sur le chemin du gallicanisme et reconnaît dans le pape plus que dans les conciles, l’autorité suprême de l’Eglise [13].
A partir de 1671, Mgr Rouxel de Medavy de Grancey, nouvel archevêque de Rouen, le continue dans sa charge jusqu’à sa mort. En tant que Supérieur de plusieurs maisons de religieuses, il a laissé le souvenir d’un canoniste rigide et très craint.
Or Monsieur Mallet fut aussi le premier supérieur de la Communauté fondée par Mère Mectilde à Rouen en 1677. A propos de la première messe célébrée le 1er novembre 1677, la narratrice de la fondation de Rouen écrit : « Après que nous eûmes fait l’oraison et dit Prime et Tierce […], M. Mallet, Grand Vicaire de Monseigneur l’archevêque et notre supérieur commença la messe de communauté et consacra les saintes hosties dans le saint ciboire que l’on avait préparé. Il le renferma dans le tabernacle après nous avoir toutes communiées, et nous mis en possession de notre adorable trésor ».
Le 4 novembre 1677, jour officiel de la fondation du monastère de Rouen « ce fut –continue la narratrice – M. Mallet, notre supérieur qui officia le premier jour. »
Les relations entre le supérieur et la communauté sont assez tendues. En effet lors de son troisième voyage à Rouen, en mai 1679, Mère Mectilde songe aux premières professions et en confère avec M. Mallet, qui, en rigide canoniste, lui fait une réponse à laquelle elle ne s’attendait pas. En effet il estime que Mgr l’archevêque ne permettra les professions que lorsque la communauté sera propriétaire de son monastère et il s’opposera toujours en ce sens. Après sa mort survenue le 20 août 1680, la question des professions sera réglée rapidement et l’archevêque de Rouen donnera la permission afin que les novices retardées à cause de M. Mallet puissent faire profession en mai 1681 [14].
5) Martin Humbelot (+1718)
Martin Humbelot est chanoine de Saint-Nicolas du Louvre. Il devient docteur de la Sorbonne le 5 janvier 1665 et s'intéresse à la réforme des statuts de la Faculté de théologie en 1670. Un mémoire ayant appartenu au séminaire Saint-Sulpice de Paris signale Martin Humbelot [15] comme un ardent adversaire des Quatre Articles de 1682 dont il s’efforce d’empêcher l’enregistrement. Il est alors exilé à Lescar en Béarn par Louis XIV avec les principaux docteurs ayant manifesté leur hostilité à cette Déclaration. Il appartient plutôt au courant "politique" soit anti-janséniste mais modéré [16].
Le 30 juillet 1681, Martin Humbelot, donne son approbation à la publication des Dispositions et pratiques pour les Filles du Très-Saint Sacrement qui sera imprimé en 1683 sous le titre Le Véritable esprit des Religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint-Sacrement de l’Autel. L’ouvrage est réédité en 1684 avec des changements non seulement dans le nombre de chapitres mais aussi dans leur contenu. Le texte d’approbation lui aussi subit une petite modification. La mention de « l’auteur » dans la 1èreédition fait place dans la deuxième à « celle qui l’a composé ».
En voici le texte dans les deux éditions :
Edition de 1683 |
Edition de 1684 |
Ce que je découvre dans ce Livre, intitulé, Dispositions et pratiques pour les Filles du Très-Saint Sacrement, me fait dire que son Auteur est remplie de la sagesse, dont parle le Sage, qui est l’ouvrière de toutes choses, qu’en elle se trouve l’esprit d’intelligence, pour pénétrer les mystères les plus cachés de sainteté; pour toucher les cœurs de ceux qui le liront; en sorte que ne respirant qu’une seule chose, qui est de glorifier Dieu, cet unique esprit dont elle est animée, se trouve partagé dans les différents moyens qu’elle donne de satisfaire aux obligations de l’Institut qu’elle professe. C’est ce qui m’engage de la convier de mettre au jour cet ouvrage, qui sera très utile aux véritables adorateurs de Jésus humilié dans la sainte Eucharistie. En foi de quoi, je Docteur en Théologie de la Faculté de Paris, ai signé, ce trentième de Juillet mil six cent quatre-vingt-un. HUMBELOT |
Ce que je découvre dans ce Livre, intitulé, Dispositions et pratiques pour les Filles du très-Saint Sacrement, me fait dire que celle qui l’a composé est remplie de la sagesse, dont parle le Sage, qui est l’ouvrière de toutes choses, qu’en elle se trouve l’esprit d’intelligence, pour pénétrer les mystères les plus cachés de sainteté, pour toucher les cœurs de ceux qui le liront; en sorte que ne respirant qu’une seule chose, qui est de glorifier Dieu, cet unique esprit dont elle est animée, se trouve partagé dans les différents moyens qu’elle donne de satisfaire aux obligations de l’Institut qu’elle professe. C’est ce qui m’engage de la convier de mettre au jour cet Ouvrage, qui sera très utile aux véritables adorateurs de Jésus humilié dans la sainte Eucharistie. En foi de quoi, je Docteur en Théologie de la Faculté de Paris, ai signé ce trentième de Juillet mil six cent quatre-vingt-un. HUMBELOT |
Nous savons par Mère Mectilde elle-même, que la première édition a été publiée à son insu. Elle écrit en effet le 5 février 1683 à une carmélite qui en demande des exemplaires : « La chère Mère Marie de Jésus vous envoyera (sic) quelques livres pour contenter votre piété ou plutôt votre humilité, elle les a fait imprimer à mon insu. J’en ai été très mortifiée et pour réparer cela j’ai défendu de le produire à qui que ce soit hors de nos maisons » [17]. Le contenu de cette lettre permet d’expliquer la petite différence que l’on remarque dans le texte d’approbation de Martin Humbelot publié sous la même date : 30 juillet 1681, différence qui lève une partie de l’anonymat de son auteur.
Entre 1684 et 1690, le texte fera l’objet d’une troisième édition augmentée qui contiendra la même approbation. Martin Humbelot encourage donc la diffusion du « Véritable esprit » qu’il considère comme un ouvrage de grande utilité. Il meurt en 1718.
6) Martin Grandin (1604-1691)
Martin Grandin est né à Saint-Quentin le 11 novembre 1604. Ses premières études terminées à Noyon et à Amiens, à 17 ans il se rend à Paris et s’adonne à la théologie. Admis au collège du Cardinal Lemoine, il y enseigne la philosophie. Il a été Principal du Collège de Dainville et chanoine de Saint-Quentin. En 1638, il devient docteur de Sorbonne et obtient une chaire en théologie.
Supérieur ecclésiastique des carmélites de France, (1655-1657) il prétend, en 1655 procéder à la visite canonique des monastères mais le nonce s’y oppose et saint Vincent de Paul l’amène à accepter la décision de Rome. Il est membre de la compagnie du Très Saint-Sacrement [18].
Martin Grandin fait partie de la commission chargée de procéder à l’examen de l’édition latine des Lettres provinciales de Pascal. Mgr de Péréfixe alors évêque de Rodez, et Mgr Charles de Bourlon, évêque de Soissons font aussi partie de cette commission qui, le 7 septembre 1660, condamne cette édition latine. Il joue surtout un rôle de premier plan à la Sorbonne à plusieurs reprise en tant que syndic [19]. En 1663, il mène campagne contre les décisions gallicanes présentées par le Parlement et la Cour, et pour cela est suspendu de sa fonction de syndic pendant six mois.
Après cette suspension de six mois, bien que favorable aux positions romaines, il se trouve obligé de présenter des positions gallicanes qu’il n’approuve pas. Durant son syndicat il oscille entre ultramontanisme et gallicanisme sans se prononcer ouvertement lors des controverses sur le gallicanisme qui, à la fin de son syndicat, sortira finalement vainqueur. Il a été défini comme une homme d’esprit, bon humaniste, clairvoyant en affaires, respectueux de l’autorité, attaché à Rome et aux Jésuites, infatigable au travail, fort savant. D’un naturel timide il se défie de tout.
En juin 1682, après l’enregistrement des Quatre Articles par la Faculté, Martin Grandin, en même temps qu’un grand nombre de docteurs, signe une Requête au Parlement demandant que soient observés les droits de la Faculté.
Martin Grandin compte parmi les plus célèbres et les plus influents professeurs de Sorbonne de son temps. La seule mention de son nom lors de l’approbation d’un livre suffit à en garantir l’orthodoxie. Cela explique peut-être le laconisme de l’approbation signée par lui dans la première édition du Véritable esprit des Religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint-Sacrement de l’Autel publiée en 1683. Ainsi s’exprime t’il :
j’ai lu ce Manuscrit. Fait le 23 juillet 1682. GRANDIN |
On peut se demander si de telles approbations étaient obligatoires de la part des docteurs.
« Traditionnellement la censure préventive des livres religieux en France était entre les mains de la Faculté de théologie. Durant la première partie du siècle cette prérogative fut progressivement abolie, seule demeurait entre les mains des docteurs l’approbation des livres. Celle-ci était loin d’être indispensable puisque très peu d’ouvrages dogmatiques furent présentés à la Faculté. Remarquons que dans son principe, il ne s’agit pas véritablement d’une approbation mais d’un nihil obstat, puisque la faculté peut soit le refuser soit exiger des modifications […]. Mais les règles manifestent clairement que cette approbation sollicitée par un ou plusieurs docteurs particuliers, engage la Faculté qui délègue son autorité » [20].
La Faculté de Sorbonne s’est donc engagée sur l’orthodoxie du « Véritable esprit », livre de spiritualité composé, au demeurant, par une moniale. Il serait intéressant de connaître les ouvrages écrits ou composé par une femme ayant reçu l’approbation des docteurs de la Sorbonne au XVIIème siècle.
Le 11 août 1682, la permission d’imprimer l’ouvrage est donné par un dénommé De Lareynie, ce qui aura lieu à Paris, chez Christophe Jounel rue Saint Jacques, au petit S. Jean.
La deuxième édition enregistrée sur le Livre de la Communauté des Libraires et Imprimeurs de Paris le 27 novembre 1683 est imprimée pour la première fois en décembre 1683 par Edme Couterot, rue S. Jacques, au bon Pasteur [21]. L’approbation de Martin Grandin s’y retrouve telle quelle, avec la même date du 23 juillet 1682, alors que, comme nous l’avons vu, le contenu de chaque chapitre a été remanié de manière notable et le nombre des chapitres augmenté. Il en sera de même dans la 3ème édition qui sera aussi augmentée.
Martin Grandin meurt à Paris le 16 novembre 1691.
************
Avec Mgr Charles de Bourlon, nous avons vu comment le projet de la Congrégation a été vigoureusement soutenue dès 1663. Mgr Hardouin de Péréfixe de Beaumont et Mgr François Harlay de Champvallon en tant qu’archevêques de Paris ont été, de 1664 à 1695, les interlocuteurs de Mère Mectilde dans son projet de fondation du premier monastère parisien puis de création de la Congrégation. Monsieur Charles Mallet, Grand Vicaire de l’archevêque de Rouen et premier Supérieur de la communauté de Rouen en 1677 n’a pas facilité les débuts de ce monastère. Enfin, en la personne de Martin Humbelot et de Martin Grandin, nous sommes entrés en contact avec deux autres docteurs de théologie, et non des moindres, dont toute l’activité s’est déroulée dans une Sorbonne ballottée entre les tendances ultramontaines, jansénistes ou gallicanes, ce qui ne les a pas empêchés de prendre le temps de lire un petit ouvrage publié sous le titre Le Véritable esprit des Religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint-Sacrement de l’Autel et d’en affirmer la légitimité, la convenance et la sécurité dans sa première, deuxième et troisième édition.
[1] N° 2321, Lettre aux religieuses du monastère de Rambervillers du 15 décembre 1666, in Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Lettres inédites, Rouen, 1976, 278.
[2] Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Documents historiques, Rouen, 1973, 234.
[3] Yves Poutet, « Les Docteurs de Sorbonne et leurs options théologiques au XVIIe siècle » in Divus Thomas, vol 81, fasc. III-IV, Jui-Déc 1978, 240.
[4] Proviseur : protecteur particulier élu à vie.
[5] Jacques M. Gres-Gayer, Le Gallicanisme de Sorbonne. Chroniques de la Faculté de Théologie de Paris (1657-1688), Paris, Honoré Champion, 2002, 579 pages, 59, 106, 193.
[6] Conciliorum Oecumenico Decreta, a cura dell’Istituto per le scienze religiose, EDB, 1991, Concile de Trente, Session XXV, Chapitres V à X.
[7] C. de Bar, Documents historiques, o. c., 245-246.
[8] Jacques M. Gres-Gayer, Le Gallicanisme de Sorbonne, o. c., 54-55.
[9] Catherine de Bar XE "Catherine de Bar" , Fondation de Rouen, Rouen XE "Rouen" , 1977, 21-22.
[10] Jacques M. Gres-Gayer, Le Gallicanisme de Sorbonne, o. c., 215.
[11] C. de Bar, Lettres inédites, o. c., 326 note 2.
[12] Yves Poutet, « Les Docteurs de Sorbonne ... », 304-305.
[13] Yves Poutet, « Les Docteurs de Sorbonne ... », 245.
[14] C. de Bar XE "Catherine de Bar" , Fondation de Rouen, o. c., 58 note 49, 60, 81, 90, 91, 92.
[15] Marin ou Martin, Humbelot ou Humblot. cf. Yves Poutet, « Les Docteurs de Sorbonne ... », 288.
[16] Jacques M. Gres-Gayer, Le Gallicanisme de Sorbonne, o. c., 229, 265. Yves Poutet, « Les Docteurs de Sorbonne ... », 288.
[17] N° 2169a, Lettre du 5 février 1683 à une religieuse carmélite, manuscrit Z4 de Rumbeke.
[18] Yves Poutet, « Les Docteurs de Sorbonne ... », 239. Dictionnaire de théologie catholique, vol. VI, Paris…, col. 1725; A. TALLON, La Compagnie du Saint-Sacrement (1629-1667) Spiritualité et société, Paris, Cerf, 1990, 122; P. COSTE, Le grand saint du Grand Siècle Monsieur Vincent, vol. III, Paris, Desclée de Brouwer, 1932, 191.
[19] Le Dictionnaire de Furetière donne la définition suivante du syndic : “Officier qui est chargé des affaires d’une ville, d’une Communauté.(...) Il y a aussi un syndic en Sorbonne, il y en a du clergé, d’un diocèse, en plusieurs corps de métiers”.
Le Dictionnaire de l’Académie française le définit ainsi: “Celui qui est élu pour prendre soin des affaires d’une communauté, d’un Corps, dont il est membre. Procureur syndic, syndic de Sorbonne”.
A la Sorbonne, le syndic joue le rôle de censeur et de procureur. Il est l’âme de la Faculté.
[20] Jacques M. Gres-Gayer, Le Gallicanisme de Sorbonne,, o. c., 405.
[21] Même si le frontispice de l’ouvrage mentionne 1684.