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Deus absconditus, anno 98, n. 4, Ottobre-Dicembre 2007, pp. 5-23

Sr Marie-Cécile Minin osb ap

 

Catherine Mectilde de Bar :
Aux sources d’un enseignement monastique inséré
dans le dynamisme spirituel de son temps

 

 

Introduction

Dans un sondage effectué il y a des années, sur la base de 3 manuscrits, la référence à 42 citations d’auteurs antérieurs ou contemporains à Mère Mectilde ont été relevés.

C’est avec certains d’entre eux que nous cheminerons sur trois routes, la route monastique avec les traditions bénédictines et cisterciennes, la route mystique et la route ascétique avec l’Ecole Française, essayant d’aller (et non de retourner) aux sources principales de son enseignement fondé sur de l’ancien toujours nouveau, et ouvert aux grands courants du renouveau spirituel de son temps.

I – Un enseignement spirituel fondé sur de l’ancien toujours nouveau

A – L’enseignement monastique

Sur notre route monastique nous rencontrerons des auteurs qui ont marqués Mère Mectilde au point de devenir pour elle modèles de vie et d’observance.

Bernard de Clairvaux (1090-1153)  et l’exemple de vie des premiers disciples

Lorsqu’elle arrive en Normandie, Mère Mectilde, réside avec la moniale qui l’accompagne, auprès de l’abbaye cistercienne de Barbery dont Louis Quinet est abbé. Celui-ci assure leur direction spirituelle durant ces quelques mois de présence.

Dans ses écrits, Mère Mectilde se réfère plusieurs fois à Saint Bernard. C’est avec lui qu’elle ouvre la Préface aux Constitutions sur la Règle pour définir la Profession religieuse si « haute en son excellence qu’elle élève au dessus des Cieux et qu’elle pourrait entrer en parallèle avec la condition des anges. »[1]

Plus loin elle ajoute :

« Les ordres religieux, selon St Bernard, ont beaucoup de rapport à la première école de vertu et de sainteté que Notre Seigneur a tenu en ce monde. Ce sont eux qui imitent le plus parfaitement ses premiers disciples et leurs saints exercices sont une rénovation de la vie évangélique… »[2]

Elle recourt aussi à lui pour évoquer la grandeur de Dieu :

« Saint Bernard – après qu’il s’est étendu à dire tout ce qu’il a pu des infinies grandeurs, perfections et attributs de Dieu, par des expressions selon notre façon de parler, pour nous faire concevoir une haute estime de la grandeur de Dieu – dit qu’il n’est point tout cela, et que ce serait une espèce de blasphème de le croire selon notre compréhension, parce qu’il est infiniment au dessus de tout ce qu’on en peut dire d’une infinité d’infinités »[3].

Mère Mectilde cite ici un passage du De consideratione de Saint Bernard, ouvrage écrit pour le pape Eugène III, cistercien devenu pape, et contenant des conseils tant pour le gouvernement que pour la propre vie spirituelle.

Mechtilde de Hackeborn (1241-1299) et Gertrude de Helfta (1256-1301), la fidélité aux observances monastiques

Ce que Mère Mectilde relève surtout chez Sainte Mechtilde et Sainte Gertrude, c’est leur fidélité à l’observance monastique :

« Pour moi, - confie t’elle dans une conférence – je ne vois rien de si touchant et ne trouve rien de plus fort ni de motif plus puissant pour nous porter à une grande exactitude à l’obéissance des Règles, Constitutions et observances de la Sainte Religion, que de dire que de les enfreindre nous contristions l’esprit de Dieu en nous. Vous me direz que Jésus-Christ n’est plus sensible, étant glorieux, et par conséquent que nous ne pouvons blesser son cœur. Il est glorieux en sa personne, mais il souffre et il est outragé dans le cœur du pécheur. Vous savez ce qu’il en dit et comme il s’en plaint à Sainte Gertrude, Sainte Mechtilde »[4].

En tant que patronne de sa vie monastique, Sainte Mechtilde est bien connue de Mère Mectilde qui a lu Le Livre de la grâce spéciale dont on retrouve un texte dans un des Ecrits mectildien (le n° 1885).

On y nomme aussi une moniale nommée Berta de Bar. Une lointaine parente?[5]

Sainte Mechtilde consacre plusieurs chapitres de son livre à l’Eucharistie. « Qu’il est bon d’assister à la messe, comment on doit se préparer à la sainte communion, avec quel désir on doit s’approcher de l’Eucharistie. On y apprend que Mechtilde « désire sincèrement le mépris et l’abjection » (42 : 207), nourrit une dévotion pour les saintes plaies du Seigneur ((58). On y trouve des expressions telles « passer en Dieu », « se couler en Dieu » (92; 93 ; 101). Elle parle de l’adhérence au Christ (84 ; 181 ; 340) de la réparation, (176 ; 246 ; 340) ; utilise le mot crime pour parler de ses péchés (284) ;de la caution ou gage (288), expressions qui abondent sous la plume de Mère Mectilde.

Dans la partie de son livre consacrée à la Vierge Marie, sainte Mechtilde salue le désir qu’avait la Sainte Vierge « de la naissance du Christ, désir qui l’emporta sur celui des patriarches et des prophètes » (148).

Dans une conférence Mère Mectilde relève :

« Mes Sœurs, nous avons grand sujet d’honorer les désirs du cœur de la sainte Vierge puisqu’ils ont plus de pouvoir pour attirer Dieu sur la terre que tous les désirs et soupirs des anciens patriarches et prophètes ».[6]

La manière de se comporter lors de la réunion communautaire appelée Chapitre tient à cœur à Mère Mectilde et c’est à Sainte Gertrude qu’elle recourt  pour convaincre à plusieurs reprises ses sœurs de l’utilité de cette observance de la vie monastique :

« Le chapitre (..) est pour nous purger des fautes qui ne sont pas matière de confession. (…) Il faut donc s’en accuser avec douleur en sa sainte présence, puisque c’est lui-même qui y préside, ainsi qu’il le fit voir un jour à Sainte Gertrude »[7].

En 1663 le vendredi de la Passion elle aborde le même thème :

« Mes Sœurs, le chapitre vous doit être un renouvellement de vie, et il doit opérer dans vos esprits la grâce d'une nouvelle ferveur pour vous corriger des fautes dont vous vous accusez. Je suppose que vous le faites avec esprit, c'est-à-dire avec douleur d'avoir déplu à Dieu par telles infidélités et en sa sainte présence, puisque, comme je vous en ai dit, c'est Notre Seigneur qui préside au Chapitre. Ne regardez que Lui, mes Sœurs, et croyez qu'il est plus présent ici que nous-mêmes, qu'il emplit ce lieu par son immensité ».[8]

On lit en effet dans Le Héraut de l’amour divin que sainte Gertrude a plusieurs fois la vision du Seigneur présidant le Chapitre de la Communauté[9].

Tout comme sainte Mechtilde, sainte Gertrude donne dans Le Héraut de l’amour divin une grande place à l’eucharistie. p 176 à 191. Elle y traite aussi du travail manuel, source de mérites (294), de l’effet de la componction (261) de l’effet du regard divin (242).

Le Livre de la grâce spéciale de sainte Mechtilde et Le Héraut de l’amour divin de sainte Gertrude faisaient (et font encore) partie des livres fondamentaux de la littérature monastique.

Jean de Castel et les moyens pour tendre à l’union à Dieu

Dans un petit opuscule qui a pour titre De l’union à Dieu[10] ( De adhaerendo Deo), longtemps attribué à Albert le Grand et identifié depuis comme ayant pour véritable auteur le moine Jean du monastère bavarois de Castel, on relève plusieurs images et expressions que l’on retrouvent chez Mère Mectilde, une imagerie qui peut surprendre, telle celle du condamné à mort évoqué dans une conférence :

« Je vous demande si un criminel que l’on mènerait au supplice garrotté de chaînes pourrait être capable de quelque plaisir, et ce qu’il répondrait à une personne qui lui offrirait des honneurs et des richesses. Sans doute qu’il ne répondrait rien, sinon il faut mourir, mon arrêt est prononcé »[11].

La similitude avec Jean de Castel est frappante :

« Si tu n’as pas le don des larmes pour pleurer vraiment, cherche au moins de ressentir une sincère douleur pour tes nombreuses et si graves fautes. En effet, de même qu’un condamné à mort ne peut même plus songer à s’amuser, ainsi à celui qui a le cœur désolé et sincèrement contrit il est impossible de rechercher les joies et les honneurs »[12].

Sous la plume de l’auteur du De adherendo Deo on lit aussi :

« Ne recherchons pas d’autres consolations en cette misérable vie mortelle, sinon de pleurer e déplorer sans cesse nos péchés, de nous mépriser et de nous anéantir au dernier degré, et de jour en jour, nous faire estimer des autres seulement comme le plus vile et devenir à nos propres yeux indignes de tout»[13].

 Voici donc une autre source à laquelle Mère Mectilde a puisée, celle des auteurs monastiques des 14 et 15 è siècles, tels Louis de bois ou Trithème qui tout comme Jean de Castel insiste sur le mépris de soi (tout le chapitre 14), l’abandon à la Providence ((33), s’anéantir en Dieu (24), le néant de la créature (17), la sainte indifférence (11), la réparation du Christ (36). Jean de Castel en donne la raison : «  l’union libre, sure, illuminée, ferme avec Notre Seigneur Dieu »[14].

Thomas A Kempis et l’imitation de Jésus

Mère Mectilde connaît bien L’Imitation de Jésus Christ de Thomas A Kempis et en fait amplement usage. Elle cite souvent le Livre 2, chap. 8, v 2. Ainsi dans une conférence pour le dimanche des Rameaux :

« Plus vous aurez de fidélité, plus Dieu demeurera en vous, et plus il y prendra ses complaisances. S’il n’en trouve point, il s’en ira dans un lieu où il puisse en trouver. Et que ferez-vous quand Jésus vous aura quittées ? Vous serez bien misérables car « être sans Jésus c’est un enfer et posséder Jésus c’est un Paradis » (comme dit Thomas a Kempis) »[15].

Et dans une lettre à la comtesse de Châteauvieux, c’est à un passage du Livre 3 qu’elle a recours :

« Lors donc que vous vous trouverez pressée de prier pour quelque chose, priez sans scrupules, mais toujours dans la vue ou dans l’intention des intérêts de Dieu. Mais pour l’ordinaire, priez en silence, comme je vous viens de dire et assurez-vous que ce silence crie bien haut, qu’il pénètre les Cieux, et va jusqu’au cœur de Jésus Christ »[16].

En réponse à quelques demandes, elle lui conseille aussi de lire l’Imitation :

« A mesure que vous vous viderez de vous-même, de vos lumières et de l’attache à vos opérations, vous serez plus capable de reconnaître le mouvement de la grâce en vous. Il y en a un excellent chapitre dans l’Imitation de Jésus »[17].

Cet ouvrage avait été à l’origine d’une controverse, les bénédictins de Saint Maur refusant l’attribution de l’ouvrage à Thomas a Kempis et le considérant comme un des fondements de la spiritualité bénédictine réformée.

Mère Mectilde a t’elle lu « La discipline du cloître »[18], autre ouvrage de spiritualité monastique attribué à Thomas a Kempis ?

Dom Claude Martin (1619-1696) et la pratique de la Règle de Saint Benoît

C’est essentiellement en tant qu’assistant du Supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur que dom Claude Martin suit les premiers pas de la Congrégation fondée par Mère Mectilde [19]. Il publie en 1669 les Méditations chrétiennes et en 1670 la Conduite pour la retraite du mois à l’usage des Religieux de la Congrégation de Saint-Maur. Il publie aussi à l’usage des Supérieurs la Perfection du Chef. En 1674 est publié pour la première fois la Pratique de la Règle de Saint Benoît, où plusieurs points de la Règle sont mis à jour par des extraits des Constitutions mauristes.

Le 10 juin 1686, dom Brachet, Supérieur général de la Congrégation de Saint Maur permet à Mère Mectilde de puiser dans la Pratique de la Règle de Saint Benoît « ce qui lui sera propre pour la conduite de ses Filles, et de le faire imprimer » [20]. En fait Mère Mectilde reprend l’ensemble de l’ouvrage et l’adapte aux usages propres d’une Congrégation féminine. La refonte est publiée sous le titre Exercices spirituels ou Pratique de la Règle de Saint Benoît à l’usage des Religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement.

Au chapitre 5 qui traite de l’oraison on lit :

si les moniales « se sentent arrêtées à la présence de Dieu, elles y demeureront autant que dure cet attrait, pace qu’elles seront pour lors dans la véritable et parfaite oraison, qui n’est autre qu’une élévation, c’est-à-dire une union de l’âme à Dieu par l’entendement et par la volonté » [21].

La conservation de ce passage de La Pratique de dom Claude Martin montre combien Mère Mectilde est fortement attachée à la vie d’oraison.

Notons enfin que L’Imitation de Jésus Christ est vivement recommandée dans les Exercices spirituels. Le passage des Exercices correspondant est un ajout volontaire de Mère Mectilde, car il n’existe pas dans le chapitre relatif à l’oraison dans l’ouvrage de dom Claude Martin. Cela manifeste clairement la grande estime de Mère Mectilde pour L’Imitation de Jésus Christ.

Nous reportons le passage en entier:

« Après la lecture de la sainte Règle, elles liront aussi toujours quelque chose de l’Imitation de Jésus-Christ, dans lequel elles rencontreront toujours quelque chose en rapport avec leur état présent »[22].

B – L’introduction dans la vie mystique

Nous empruntons maintenant la route mystique qui se croise avec celle monastique sur les chemins de l’Europe.

Jean Tauler (1304-1361) et la vie d’union à Dieu

On trouve une terminologie similaire chez Mère Mectilde et chez Jean Tauler, un des mystiques rhénans. L’un et l’autre utilise de manière habituelle le terme « fond » et aussi celui d’ « abîme » pour parler de la vie d’union à Dieu[23].

En 1653 Mère Mectilde écrit à Mère Benoîte de la Passion :

Je reçois tous les jours assez de lois intérieures dans le fond de mon esprit pour être certaine que ma petite voie n'est que silence et anéantissement. Demeurons dans l'abîme où la conduite de Dieu nous tient, et que chaque âme soit victime selon son degré d'amour n'étant plus rien qu’une pure capacité de son bon plaisir[24].

Puis dans une conférence pour le 31 décembre 1661, aux moniales de la rue Cassette :

Oui, mes Sœurs, je dis que c'est une chose très sainte que le silence. Le silence dissipe les nuages et chasse les ténèbres de l'intérieur; il calme une âme et la met en possession d'une grande paix, par le moyen de quoi elle entre en union avec Jésus-Christ, qui se présente dans le fond de cette âme et se communique d'une manière ineffable. Le silence dispose l'âme à l'oraison [25].

On retrouve aussi chez Mère Mectilde une pratique spirituelle chère à Tauler : la « résignation à l’enfer ». Cette pratique consiste à vivre dans le parfait abandon à la volonté de Dieu jusqu’à accepter de demeurer éternellement en enfer s’il le voulait, ou pouvait le vouloir. Tauler fait de cette pratique la pierre d’angle de l’édifice de l’humilité qui prouve l’authenticité du désir de tenir la dernière place.

L’exercice de la résignation volontaire à la peine de l’enfer fut une pratique en honneur dans les milieux spirituels postérieurs à Tauler et aussi au XVIIè siècle. Mère Mectilde en conseille la pratique lorsque c’est nécessaire. Ainsi en 1667, elle demande à Mère Marie de Saint François de Paule [Charbonnier] de pratiquer cet exercice d’abandon :

Nous vous ordonnons de la part de Dieu de vous tenir comme une bête dans la perte de tout et même de votre salut et perfection. Il n'est plus question de tout cela, mais seulement de vous tenir dans ce simple abandon avec tant de fermeté que, si vous voyiez l'enfer ouvert pour vous engloutir, vous ne feriez pas un détour de votre pur abandon pour vous en préserver [26].

Cette pratique apparaît aussi au chapitre 7 du Véritable esprit, toujours dans le but d’inciter à l’abandon confiant envers Dieu :

Il faut donc qu'elles s'abandonnent simplement, et quand la tempête est si violente, que tout est renversé et perdu, il faut trouver son repos dans sa propre perte. Quoi! dans l'enfer, car je me damne ? Oui dans l'enfer ; il faut croire que Dieu fait justice, et vous lier à ses intérêts, laissant mourir les vôtres qui ne peuvent souffrir une séparation éternelle de Dieu, non par le pur amour que vous lui portez, mais par l'instinct secret de votre amour-propre. Abandonnez-vous donc au bon plaisir de Dieu, soit de justice ou de miséricorde ; car tant que l'âme n'est pas dans cet abandon sacré, elle ne fait nul progrès, et ne remplit point le dessein de Jésus-Christ sur sa purgation intérieure [27].

Mal compris ce passage du Véritable esprit sera supprimée dans l’édition de 1900. Cela montre combien il est important de connaître au mieux les sources de la pensée de Mère Mectilde pour transmettre celle-ci fidèlement.

Catherine de Gènes (1447-1510) et le pur amour

La doctrine spirituelle de Catherine de Gènes a eu ses amateurs et ses détracteurs. Un rôle significatif est celui joué dans la France spirituelle du XVII siècle. Les idées de Catherine circulent directement, à travers l’édition française de l’Opus faite par les Chartreux de Bourg Fontaine en 1598. Pour elle la voie d’anéantissement permet la croissance de l’âme dans le pur amour de Dieu.

En 1610 est publiée La Vie et les œuvres spirituelles de sainte Catherine d’Adorny de Gènes.. Elle est rééditée en 1662 par Desmarets [28]. Cet ouvrage appartenait au monastère de la rue Cassette, Mère Mectilde elle-même l’avait inscrit dans la Catalogue de la Bibliothèque.

Mère Mectilde connaît l’édition de 1610 car dès 1640 elle cite Catherine de Gènes dans un Abrégé d’une retraite utilisant un texte que l’on retrouve souvent sous sa plume :

« Tôt, tôt tirez-moi de mon être et me mettez dans l’opération de ma fin »[29].

Elle reprend la citation dans une lettre à la Communauté de Toul en 1672, à la comtesse de Châteauvieux [30] puis dans une lettre à la Mère Dorothée Heurelle :

A Dieu en Dieu, c’est là où il se faut perdre et dire avec une belle âme : « je me sépare de moi-même pour me perdre dans l’être infini de Dieu », et avec la bienheureuse Catherine de Gênes, « Tôst, Tôst, tirez-moi de mon être et me mettez dans l’opération de ma fin »[31].

Comprendre Catherine de Gènes aide à mieux cerner Mère Mectilde. La vie de Catherine de Gènes a son propre centre dans la relation avec le Christ, dans ce pur amour qui caractérise sa mystique. La voie de Catherine de Gènes donne une direction précise à la vie spirituelle en la centrant sur le pur amour c’est-à-dire l’amour de Dieu qui ne dispense ni dons ni consolations particuliers mais conduit l’âme à s’identifier au créateur.

Ecrivant à la comtesse de Châteauvieux, Mère Mectilde lui décrit le chemin qui conduit à ce pur amour  sans dons ni consolations :

« Le pur amour est beau et tout rempli de charmes, mais nous sommes trop impures pour le posséder ; il ne pourrait demeurer un instant en nous. Il fait sa retraite dans les âmes toutes anéanties (…) Laissez-vous donc détruire, humilier et consommer dans le centre de votre néant, et après vous errez le pur amour se reposer en vous comme en son lit de repos »[32]

Jeanne de France (1464-1505) et l’imitation de Marie

Pour Jeanne de France, fondatrice de l’Ordre de l’Annonciade, il s’agit d’imiter Marie pour vivre de sa foi, pour accueillir Jésus, pour l’adorer en nous.

Dans une Conférence pour le jour de l’Annonciation Mère Mectilde exhorte à adhérer au bon plaisir de Dieu :

« Imitez son humilité, sa soumission. Consentez que Dieu soit en vous en toutes les manières qu’il lui plaira (…) Adorez le Verbe fait chair et révérez l’humilité de la Très Sainte Vierge. Ne sortez point de cette disposition, demeurez abaissées devant la grandeur de Dieu et abandonnées à son bon plaisir »[33].

Mère Mectilde, qui est entrée au monastère de l’Annonciade de Bruyères en 1631, garde toute sa vie une solide dévotion mariale[34]. Elle cherche à se conformer en tout à la volonté divine pour le « bon plaisir » de Dieu.

Thérèse d’Avila (1515-1582) entre l’action et la contemplation

L’influence de l’Espagne commence à se faire sentir dans la France du XVIIème siècle avec l’introduction par Pierre de Bérulle du Carmel. Canonisée le 12 mars 1622, sainte Thérèse est la mystique du Christ, la contemplative par disposition intérieure et par vocation. En tant que mystique et fondatrice elle conçoit la prière comme un rapport interpersonnel, sans opposition entre l’action et la contemplation. En tant que femme et fondatrice, elle est donc un exemple encourageant pour Mère Mectilde qui se plonge tant dans la lecture de sa vie que de celle des fondations.

Mère Monique des Anges, narratrice de la fondation du monastère de Rouen, a agrémenté son récit d’anecdotes qui ne sont pas du goût de tout le monde. Lui écrivant le 30 septembre 1686, Mère Mectilde la rassure, prenant à témoin le Livre des Fondations de Thérèse d’Avila :

« Je veux bien, cher petit ange, – lui écrit-elle – que l’on vous renvoie l’histoire que vous avez recueillie ; je suis fâchée des discours que l’on vous en a faits ; pour moi je ne l’ai pas désapprouvé, sachant bien que sainte Thérèse a mis plusieurs petites choses dans ses fondations, qui sont fort récréatives » [35].

Et dans une Conférence sur le Règne de Dieu en nous, à propos de la communion, c’est à la vie de Thérèse d’Avila qu’elle se réfère :

« Sainte Thérèse disait que quand elle communiait, elle sentait tous ses cheveux se dresser à sa tête tant elle était pénétrée de respect pour ce Dieu saint devant qui les Chérubins tremblent et se couvrent de leurs ailes comme s’ils n’étaient pas assez purs pour paraître devant un soleil si lumineux » [36].

Jean de la Croix (1542-1591) et la petite voie du rien

La première traduction française des Œuvres spirituelles de Jean de la Croix date de 1641-1665.

Jean de la Croix rappelle à l’homme que plus il s’anéantit pour Dieu, tant au niveau des sens qu’au niveau spirituel, plus il s’unit à Dieu et accompli des œuvres grandes. La traversée de l’obscurité et de la croix de la nuit obscure a pour but la plénitude de la lumière.

Ecrivant à la comtesse de Châteauvieux bien avant la béatification de Jean de la Croix (qui a lieu en 1675), Mère Mectilde témoigne de la sainteté de celui-ci, citant La montée du Carmel chapitre 13, livre 1 :

« Depuis que je me suis mis à rien, j’ai trouvé que rien ne me manque ». Ce sont les paroles d’un grand saint qui l’avait bien expérimenté ». (…) Il faut vous contenter de n’être rien et « vous serez d’autant plus que vous voudrez être moins ». (…) dans la vie intérieure on y avance en reculant. C’est-à-dire : vous y faites fortune en n’y voulant rien être et vous paraissez d’autant plus aux yeux de Dieu que moins vous avez d’éclat et d’apparence aux vôtres et à ceux des créatures. « Pour être quelque chose en tout il ne faut être rien du tout »[37].

Mère Mectilde connaissait bien La Montée du Carmel, elle sait le rappeler à Mère Saint Placide qui se désole dans ses ténèbres :

« Dieu donc est et nous ne sommes rien ; mon Dieu, très chère que je trouve de grandes forces et de grandes grâces dans la pratique de ce néant en foi ! Il porte l’âme à un si précieux abandon qu’elle y demeure toujours dans une paix toute divine. Souvenez-vous de ce qui est dans « La Montée du Carmel » qui est la figure de la perfection où l’âme spirituelle doit atteindre : le commencement du sentier dit : RIEN ; plus loin, : RIEN ; avancez, il vous dit encore : RIEN ; après avoir fait quelques progrès dans cette montée, vous trouvez encore cette même leçon : RIEN ; un peu plus avant, vous entendez cette devise : « Vous serez d’autant plus que vous voudrez être moins » ; continuant le chemin, l’âme dit, avec une admirable expérience : « Depuis que je me suis mis à rien, j’ai trouvé que rien ne me manque » [38].

Enfin en 1680 dans une lettre à Mère Monique des Anges qui goûtera aussi, comme nous l’avons vu, les œuvres de Thérèse d’Avila :

Mettons toute notre fortune à n’être rien et nous expérimenterons une vérité admirable, qui a donné sujet à un grand saint de l’exprimer par ces mots : « Depuis que je me suis mis à rien, j’ai trouvé que rien ne me manque »[39].

Pour l’avoir elle-même empruntée, Mère Mectilde conseillera souvent cette petite voie du rien pour apprendre à connaître Dieu.

II – Un enseignement ascétique ouvert aux grands courants de renouveau spirituel de son temps

Nous voici arrivés à la route ascétique qui nous ramène dans la France de l’Ecole française et du renouveau spirituel.

A – L’apport de la spiritualité de Pierre de Bérulle

En 1644, sous le généralat de François Bourgoing, son successeur, les Œuvres complètes de Bérulle sont publiées. Elles sont rééditées en 1657 et 1663. Nous avons retenu ici deux des caractéristiques de la spiritualité de Bérulle.

L’Incarnation, mystère d’anéantissement par amour

Le mystère de l’Incarnation du Verbe revêt une grande importance chez Mère Mectilde et elle en fait l’objet de ses conférences, dont celle-ci :

Vous êtes, ô Jésus, dès le moment de votre incarnation, l’hostie XE "hostie"  pure. (…) En vous revêtant de notre chair, vous êtes en votre Présentation dans le Temple l’hostie toute sainte, et si parfaitement sainte que vous sanctifiez tous les chrétiens qui sont hosties avec vous. Si sainte, dis-je, que vous êtes le ravissement du Père Eternel, le comble de sa joie et de sa complaisance, qui reçoit par votre Présentation une gloire infinie, parce que vous êtes la première hostie pure et sainte qui lui ait jamais été présentée [40].

L’« état et forme de servitude » du Christ fait l’objet de la réflexion de Pierre de Bérulle et il revient souvent sur l’humiliation du Verbe. Bérulle écrivait à propos de l’Incarnation du Verbe :

« [Jésus] offre ce corps en qualité d’hostie pour la gloire de son Père et pour le salut du monde. Jésus donc qui entre au monde…prend la qualité d’hostie et se présente à Lui en cet état. C’est son premier office envers Dieu… Ce premier état de Jésus est de telle importance qu’en icelui est établi la religion et la rédemption du monde » [41].

En 1693, le lendemain de Noël, Mère Mectilde dit ceci dans une conférence :

Pour concevoir quelque chose de l’abaissement où se réduit le Verbe divin, en se faisant homme et petit enfant, il faut s’élever jusqu’à sa grandeur, et regarder ce qu’il est en lui-même et dans son Père : Dieu infini comme lui, en majesté, en perfections et en sainteté. (…) Voilà donc qu’il est déterminé dans le conseil éternel que ce Verbe adorable s’incarnera pour l’honneur de son Père, pour réparer sa gloire, et enfin pour sauver les hommes [42].

Jésus, le parfait adorateur du Père

Jésus est l’adorateur du Père par excellence. C’est la doctrine bérullienne :

« De toute éternité – écrit Bérulle – il y avait un Dieu infiniment adorable, mais il n’y avait pas encore un adorateur infini ; il y avait bien un Dieu digne d’être infiniment aimé et servi, mais il n’y avait aucun homme ni serviteur infini propre à rendre un service et un amour infini. Vous êtes maintenant, ô Jésus, cet adorateur, cet homme, ce serviteur, infini en puissance, en qualité, en dignité [43] ».

A la suite de Bérulle, Mère Mectilde considère Jésus au Très Saint Sacrement adorant sans cesse la sainteté de Dieu, son Père :

Il faut, ma sœur, que vous fassiez aujourd’hui votre réparation, en union de Jésus à la sainteté de Dieu outragée dans les âmes des pécheurs qui la profanent (…). C’est l’occupation de Jésus au Très Saint-Sacrement qui adore sans cesse la sainteté de Dieu [44].

Pierre de Bérulle est certainement un de ceux qui ont le plus influencé les modes d’expression de Mère Mectilde et sa doctrine ascétique de l’anéantissement.

B –  L’influence des directeurs et conseillers spirituels

Jean de Bernières- Louvigny (1602-1659) et le chrétien intérieur

Mère Mectilde entre en relation avec le milieu spirituel groupé autour de Jean de Bernières alors qu’elle se trouve en Normandie en 1642. Considéré par tout son entourage comme un saint, Bernières joue le rôle d’un véritable directeur laïc et son influence est très étendue. L’étude de la correspondance entre Bernières et Mère Mectilde est indispensable pour bien comprendre la pensée de Mère Mectilde. Il existe encore 137 lettres de Mère Mectilde à Bernières qui marquent une étape décisive dans la vie spirituelle de Mère Mectilde. Bernières sera un de ses meilleurs conseillers au moment de la fondation.

La terre d’anéantissement

L’influence de Bernières sur Mère Mectilde est grande car il lui fait découvrir ce qu’il appelle « la terre d’anéantissement », expression qui sera reprise par Mère Mectilde.

Cette terre contient plusieurs fermes, celle de la destruction de soi-même, celle de la pauvreté, celle du mépris, celle des douleurs, celle des sécheresses et des délaissement. Dans toutes les fermes il rencontre Jésus pauvre, méprisé, délaissé. Sur cette terre il y avait un Eglise, Dieu lui-même, contemplé dans ses grandeurs à travers l’anéantissement du Christ.

Si le Christ s’est fait pauvre, a été méprisé et a souffert, il a divinisé la pauvreté, le mépris et la souffrance. Si nous y entrons nous serons nous-même divinisés. Enfin sur cette terre, il y avait un étang, l’étang de la pauvreté où les âmes se baignent pour acquérir la pureté, pureté qui consiste à être plein de Dieu, lorsqu’on a accepté d’être anéanti à l’image de Jésus.

L’enseignement profond sur la voie d’anéantissement que Bernières livre à Mère Mectilde qui en fera un trésor spirituel est contenu dans ces lignes « On est longtemps à connaître que la perfection est au dedans et non au dehors de l’âme, qu’elle consiste à n’être plus du tout propriétaire de sa volonté, de son jugement et de tout ce qui n’est point Dieu » [45].

De cette terre d’anéantissement Mère Mectilde parle dans une conférence, commentant l’Evangile des Béatitudes :

Bienheureux les débonnaires car ils possèderont la terre. Que pensez-vous de cette terre qui est donnée aux débonnaires ? C’est la terre d’anéantissement car débonnaire veut dire une personne douce, bienfaisante, qui porte la paix partout et la possède en soi-même, ce qui fait qu’étant exempte de passions elle se connaît soi-même ; connaissance qui la met dans le néant où se trouvent toutes sortes de grâces et de bénédictions, c’est là où lui est donné cette terre fortunée qui renferme Dieu même.[46]

Le chrétien intérieur

Dans la même conférence elle continue à esquisser les vertus du chrétien intérieur :

 

Cette béatitude a bien du rapport à cette autre. Bienheureux seront les pacifiques parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. Celle-ci a quelque chose de plus particulier comme enfant de Dieu. Elle est logée dans son cœur comme un enfant est logé dans la maison de son père. Le pacifique pacifie toutes choses, porte un grand calme dans son intérieur, ce qui lui donne rapport à Dieu qui est un Dieu de paix[47].

Dans Le chrétien intérieur Bernières engage à la conformité avec Jésus en choisissant la folie de la croix :

Il faut que notre intérieur soit formé sur celui de Jésus (…) et qu’ainsi transformés en Jésus-Christ nous ayons une parfaite union avec lui. (…)[48]

Le 21 mars 1659 c’est l’inauguration du monastère de la rue Cassette suivie le 3 mai par la mort de Bernières.

Mère Mectilde qui a assumé tout l’enseignement de Bernières écrit Mère Dorothée : « Ce grand saint est mort avant que de mourir, par un anéantissement continuel en tout et par tout (…) mourons incessamment, mourons toujours car dès que nous cessons de mourir nous cessons de vivre »[49].

Jean Chrysostome de Saint-Lô (1594 circa-1646) et la sainte pauvreté et abjection

Lorsqu’elle quitte la Normandie, c’est au Père Jean Chrysostome de Saint Lô, un se ses amis et conseillers, que Bernières l’adresse.

En juin 1643 c’est la rencontre entre Mère Mectilde et le Père Jean Chrysostome qui devient son directeur. Il donne des conférences spirituelles aux moniales dont le thème principal est la fuite des créatures. Il conduit Mère Mectilde dans des voies austères.

Dès juillet 1643, Mère Mectilde fait une relation autobiographique de sa vie spirituelle  afin de se faire bien connaître. On y apprend que dès son entrée au monastère de Rambervillers son attrait pour la contemplation se développe et elle mène une intense vie d’oraison dès le noviciat. Les notes caractéristiques de Mère Mectilde, qui la poursuivront toute sa vie, sont le désir de la vie solitaire, séparée du monde et un attrait pour la prière continue, une dévotion au Saint-Sacrement où Jésus est caché et un appel à honorer « par état » cette vie cachée.

Le père Jean Chrysostome comprend parfaitement toute l’étendue de la grâce renfermée en Mère Mectilde. Secondant en cela l’œuvre accomplie par Bernières en Mère Mectilde, il lui fait découvrir les états d’anéantissement et d’abjection et l’invite à imiter Jésus serviteur et humilié.

Le père Jean Chrysostome lui annonce qu’ainsi elle acquerra la paix de l’âme et reposera en Dieu, mais qu’il lui faudra aussi supporter beaucoup de combats et de tentations pour parvenir à la possession du Pur amour. Mère Mectilde effectivement deviendra elle aussi la « Dame du Pur amour » pour reprendre l’expression que nous avions rencontré avec Catherine de Gènes.

Il l’invite aussi à entretenir une dévotion particulière à Marie. Il lui fait comprendre que si la perfection ne consiste pas dans les lumières, néanmoins celles ci servent beaucoup et qu’il ne faut donc pas négliger de s’instruire.

Le 26 mars 1646 le père Jean Chrysostome meurt. C’est une grande désolation et un grand détachement pour Mère Mectilde. Dans une lettre à Monsieur de Bernières le 6 novembre 1646 elle confie : « Je crains de perdre l’esprit d’oraison (…) celui de pénitence et de sainte pauvreté et abjection que notre bon Père [Jean Chrysostome] nous a si saintement imprimé en notre esprit » [50].

 Le Père Jean Chrysostome avait si bien imprimé en elle ces attraits qu’elle pourra écrire en toute vérité au chapitre 15 de Véritable esprit :

Celui qui possède, n'est pas pauvre ; mais celui qui meurt incessamment à toutes les choses sensibles, qui souffre la disette de tout secours, qui se plaît aux exercices de la pauvreté même extérieure ; qui désoccupe son esprit de toutes les créatures ; qui ne veut reposer en aucune, quelque excellente qu'elle soit ; qui ne reçoit aucune pensée d'estime de soi-même, ni les louanges des hommes ; qui, dans un esprit de simplicité continuelle vers Dieu, n'a d'autre désir que de lui seul ; qui ne veut rien savoir que lui ; qui ne cherche rien hors de lui ; qui ne s'attache point à ses dons et à ses faveurs, et ne s'approprie aucun bien ; qui demeure dans sa petitesse et en fait son lit de repos ; celui-là est en état d'avoir une pleine possession du Royaume de Dieu[51].

Epiphane Louys (1614-1682) et la nature immolée par la grâce

Le Père Epiphane Louys, Prémontré réformé se lie avec Jean de Bernières durant un séjour en Normandie.

En avril 1663 il accepte la charge abbatiale à Etival (Vosges), non loin de Rambervillers. En juin de la même année il prêche au monastère de Rambervillers.

Lorsque Mère Mectilde rencontre le Père Epiphane Louys, elle a mis par écrit les orientations principales de son œuvre monastique. En 1665, à sa demande, le Père Epiphane consigne dans un écrit adressé à Mère Mectilde une série d’orientations concrètes pour entrer dans la voie victimale. Il donne les caractéristiques d’une adoratrice, met en relation Saint Benoît et le charisme de l’Institut. On retrouve tout cela dans l’enseignement de Mère Mectilde

Grand mystique et homme d’action Epiphane Louys se fait l’apologiste de la « contemplation de simple regard ». En 1676, à la demande de Mère Mectilde, il publie les Conférences mystiques sur le recueillement de l’âme pour arriver à la contemplation, du simple regard de Dieu par la lumière de la foi. Il écrit aussi beaucoup et on lui doit La nature immolée par la grâce ou la pratique de la mort mystique pour l’instruction et la conduite des religieuses bénédictines, consacrées à l’adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement et très utile à toutes les personnes dévotes à ce grand mystère [52], véritable traité (comme il le définit lui-même) sur le charisme propre de l’Institut.

La graphie du titre est assez éloquente. Les mots « La nature immolée » sont écrits en caractère normal, tandis que les mots « par la grâce » sont mis en plus gros caractères, et que le reste du titre est de nouveau d’une graphie normale.

Au début de cet ouvrage, Epiphane Louys avertit le lecteur que l’ouvrage a été composé pour insuffler aux moniales l’esprit et la grâce de leur Institut.

On y lit :

« Il faut mourir à la vie de la nature pour vivre à la vie de la grâce ; il faut mourir à la vie humaine pour vivre à la vie divine. Il faut vous défaire de ce que vous êtes afin que vous deveniez ce que vous n’êtes pas. (…) Si vous vous anéantissez Dieu accourra à vous, il descendra jusqu’à votre néant et il l’élèvera jusqu’à son tout »[53].

Le Père Epiphane meurt en 1682, mais est toujours présent spirituellement dans la vie de Mère Mectilde. Son influence été déterminante pour la pérennité de l’œuvre mectildienne. Il a été le catalyseur qui lui a permis de donner un fondement solide à son enseignement qui contient déjà, au moment où elle rencontre le Père Epiphane, toutes les bases que l’on retrouve tout au long de sa vie.

Conclusion

Voilà, nous avons parcouru les routes monastique, mystique et ascétique allant ainsi aux sources principales de l’enseignement spirituel de Mère Mectilde de Bar. En elle ces chemins se rejoignent sur la route de son charisme propre. Tout en conservant son identité bénédictine, Mère Mectilde a su accueillir le grand mouvement spirituel de son temps qui fut appelé Ecole française. Elle a su aussi introduire ses moniales dans la vie mystique, c’est à dire la vie intérieure enracinée dans la grâce baptismale avec toutes ses conséquences et nourrie par la lectio divina, l’eucharistie et la prière liturgique ou personnelle.

L’enseignement qu’elle propose est basée sur une forte tradition spirituelle. Elle a puisé dans les auteurs monastiques antérieurs ou contemporains, et fait sienne les saines valeurs de son temps, comme la spiritualité de l’Ecole française. Et surtout, on peut dire d’elle ce que saint Grégoire a dit de notre Père saint Benoît : « elle n’a pas enseigné autrement qu’elle n’a vécu ».

On pourrait synthétiser cet enseignement ainsi :

Fidélité à l’observance bénédictine réformée, fidélité au charisme propre d’adoration et de réparation en qualité de Victime, fidélité à cultiver la vie d’union à Dieu, sous le regard de et à l’imitation de Jésus et de Marie.

On pourrait légitimement se demander si son enseignement est ouvert au dynamisme spirituel de notre temps.

Il nous reste donc, sous forme de conclusion, à projeter cet enseignement mectildien dans notre aujourd’hui.

La fidélité à l’esprit des fondateurs et au charisme propre de chaque famille religieuse été rappelée lors du concile Vatican II (PC 2). Le culte eucharistique, l’adoration et la réparation eucharistique ont été remise en valeur avec l’encyclique Ecclesia de Eucaristia. Le développement de la vie spirituelle insufflée au baptême qui est le grand axe porteur de la pensée mectildienne. a été encouragé par Divinum et vivificantem. La vie ascétique et le renoncement ont été re-proposés avec l’encyclique Deus caritas est. La place de la Vierge Marie et son rôle unificateur et de maintien de la fidélité aux engagements du baptême a été exprimé avec Lumen Gentium et Redemptoris Mater.

En regardant le passé nous avons pris conscience d’une tradition monastique qui, confrontée à notre aujourd’hui, non seulement est encore actuelle mais a certainement encore beaucoup à dire au monde de notre temps.



[1] Préface des Constitutions sur la Règle de saint Benoît : Bibliothèque municipale de Nancy, manuscrit côté (546) 60, DH 124.

[2] Id. 124.

[3] Conférence sur la fête du Saint-Sacrement (de l’année 1683) n° 188/CC 117/1. Cf. S Bernardo, trattatti, Opere, vol 1, La Considerazione V, VII, 16, Città nuova, 1984, p. 917.

[4] n° 2138 CC 212/1-2.

[5] Sainte Mechtilde, Le Livre des Révélations, Cinquième Partie, chapitre 5, Mame, 1926,  p 381. (5 ;5 424.

[6] N° 659 Conférence sur la fête de l’Expectation de la Sainte Vierge (CC 12/1).

[7] N° 527, Chapitre « Dans quel esprit il faut faire ses actions et assister au chapitre » (= CC 231/1).

[8] N° 2677, Conférence pour le Vendredi de la Passion (CC 84/2)

[9] Sainte Gertrude, Le Héraut de l’amour divin, Livre IV, chap. 2 (p 12), chap. 12, (p 60), chap. 48 (p 174), Tome 2, Mame, 1926.

[10] Giovanni di Castel, O.S.B., Dell’unione con Dio, Scritti monastici, serie ascetico-mistica, n° IV, Praglia, 1944.

[11] n° 282 Conférence sur le vœu de victime (= CC 259)

[12] Giovanni di Castel, O.S.B., p 32

[13] Giovanni di Castel, O.S.B., p 31

[14] Giovanni di Castel, O.S.B., p 3

[15] N° 2583, Conférence pour le dimanche des Rameaux, (=CC 85/1) (=1AL-183), Imitation de Jésus Christ Livre 2, chap. 8, v 2.

[16] Comment l’on peut prier en trois manières pour le prochain, Imitation de Jésus Christ Livre 3, chap. 21,4, (AS 186) (=LA 175).

[17] Réponses à quelques entretiens, Imitation de Jésus Christ Livre 3, chap. 37, (AS 319) (=LA 309).

[18] Tommaso da Kempis, La disciplina del chiostro, traduzione di Onorato Tescari, Sociétà Editrice Intenazionale, Torino, 1932.

[19] Daniel-Odon Hurel « Mère Mectilde et les Mauristes » dans Catherine de Bar, Une âme offerte à Dieu en Saint-Benoît XE "Benoît" , Collectif, Téqui, 1998, p 112-118.

[20] Exercices spirituels ou Pratique de la Règle de Saint Benoît à l’usage des Religieuses bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement, Lille, 1859, p. 278. Nella sua traduzione, l’œuvre de Dom Claude Martin s’intitule : Pratica della Regola di San Benedetto del Padre D. Claude Martin, Venezia, 1744.

[21] Exercices spirituels ou Pratique … o. c., p 312. Cf. Pratica della Regola di San Benedetto, o. c., p. 37.

[22] Exercices spirituels ou Pratique … o. c., p. 356-357. Cf. Pratica della Regola di San Benedetto, o. c., Della lezione spirituale, pp. 52-55 .

[23] Cf. Louise Gnädinger, Giovanni Taulero, ambiente di vita e dottrina mistica, San Paolo, 1997, p. 162 ; 206.

[24] Lettre à  la Mère Benoîte de la Passion [de Brême]  du  22 février 1653, n° 55, in Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Lettres inédites, Rouen, 1976. p 155.

[25] N°219 + 501  (= CC31/1) De la veille de l’an 1662.

[26] Lettre à la Mère Marie de Saint François de Paule [Charbonnier], 1667, n° 56, in Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Lettres inédites, Rouen, 1976, p. 286.

[27] Le Véritable esprit des Religieuses adoratrices perpétuelles du Très Saint-Sacrement de l’Autel, Paris, 1690, 3ème édition, ch 7.

[28] Cf. La Vie et les œuvres spirituelles de sainte Catherine d’Adorny de Gènes, revues et corrigées, Lyon, chez Pierre Rigaud, Rue Mercière au coin de la rue Serrandière 1610 et La Vie et les œuvres spirituelles de sainte Catherine de Gènes, par Jean Desmarets, éditée chez Florin Lambert, Paris, 1662. On ne peut saisir bien le sens qu’en la replaçant dans son contexte. Au chap 32 de la vie de Catherine de Gènes, « comme elle démontre avec une figure de pain mangé, comme se fait l’anéantissement de l’homme en Dieu ».

[29] IS 25 (=IS it 49).

[30] Cf ; Texte n° 1316, lettre à la Communauté de Toul en 1672, LI, 313 et Châteauvieux De l’oraison qui se fait en simplicité d’esprit selon les sentiments de M. de Genève. AS 183/LA 172.

[31] N° 856, Lettre à Mère Dorothée Heurelle, 6 février 1674, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, Lettres inédites, Rouen, 1976, p. 323.

[32] Catherine de Bar, Une amitié spirituelle au Grand Siècle, Lettres de Mère Mectilde de Bar à Madame de Châteauvieux, Téqui, 1989, p. 160. Sur Catherine de Gènes et Mère Mectilde, voir aussi : Giorgio M. Bertolini, in Catherine Mectilde de Bar, Anno liturgico e santità, ed. Glossa, Milano 2005, p. 323 note 27, et p. 324.

[33] N° 2014, Conférence pour le jour  de l’Annonciation (CC 60/2). Voir aussi Cf. N° 1907, conférence pour la fête du Saint Cœur de Marie (CC 52)

[34] Cf. Actes du Colloque « Jeanne de France et l’Annonciade » qui s’est tenu à l’Institut Catholique de Paris en 2002 : Joël Letellier, Catherine de Bar (1614-1698), annonciade et bénédictine, une même aspiration à travers les vicissitudes de l’histoire : D. Dinet-P. Moracchini-m.E. Portebos in Jeanne de France et l’annonciade, Paris, ed du Cerf, 2004, pp. 329-384 et plus spécialement pp. 343-346.

[35] Catherine de Bar XE "Catherine de Bar" , Fondation de Rouen, Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen XE "Rouen" , 1977, p. 132

[36] N° 2038 Conférence sur le Règne de Dieu en nous  (=CC 265/1). La passage est au chapitre 38, verset 19 de la vie de Thérèse d’Avila. Cf. Santa Teresa d’Avila, Dottore della Chiesa, Opere7 , Roma, Postulazione Generale, o. c. d., 1981, p. 399.

[37] C’est par la foi que l’on connaît Dieu (AS 115-116) (=LA 105)

[38] Mère Marie-Véronique Andral, Catherine de Bar, Mère Mectilde du Saint-Sacrement, 1614-1698, Itinéraire spirituel, 1ère édition, Rouen, 1990, p. 56-57.

[39] N° 1411, Catherine de Bar, Fondation de Rouen, Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1977, p. 251.

[40] N° 459, Conférence de la Présentation de Notre-Seigneur au Temple (49/1).

[41] Pierre de Bérulle  XE "Bérulle" , La Vie de Jésus, Cerf, Collection « Foi vivante », 236, Paris, p. 197-198. Pierre de Bérulle (1575-1629). Cf. Véronique Andral (a cura di), Catherine Mectilde de Bar. l. Un carisma nella tradizione ecclesiale e monastica, Roma, Città Nuova, 1988, p 295-309.

[42] N° 2484, Conférence de la surveille de Noël, (=CC 18/1).

[43] Pierre de Bérulle, Les Grandeurs de Jésus, II, 13, cité d’après Fernando Guillen Preckler, « Etat » chez le Cardinal de Bérulle, théologie et spiritualité des « états » bérulliens, Analecta Gregoriana vol. 197. Series Facultatis Theoogicae : Sectio B, n. 63, Università Gregoriana Editrice, Roma, 1974, p.129.

[44] N° 2813, Chapitre de la veille de tous les Saints (173/1).

[45] Cf. Bernard Pitaud pss, «La corrispondanza tra madre Mectilde e Jean de Bernières», in Deus absconditus, anno 89, n. 3-4, Luglio-Dicembre 1998, 61.

[46] Mère Mectilde Conférence sur l’Evangile du jour de tous les Saints, manuscrit R 11, p. 22.

[47] Idem.

[48]  Jean de Bernières- Louvigny Le chrétien intérieur  ou la conformité intérieure, Parisse Frères, Paris, 1852, tome second, p 10

[49] IS 97-98

[50] N° 775, Catherine de Bar XE "Catherine de Bar" , Fondation de Rouen, Bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen XE "Rouen" , 1977, p. 343.

[51] Le Véritable esprit o. c., chap. 15.

[52] Il publie aussi La vie sacrifiée et anéantie des Novices et Les Méditations sur les Solennités et les fêtes des Saints propres de l’Institut de l’Adoration perpétuelle du Très Saint-Sacrement, L’horloge pour l’Adoration perpétuelle au très Saint Sacrement.

[53] La nature immolée par la grâce ou la pratique de la mort mystique pour l’instruction et la conduite des religieuses bénédictines, consacrées à l’adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement et très utile à toutes les personnes dévotes à ce grand mystère, Paris, chez Georges Josse, 1674, p. 388.