Accueil    Thématiques    Spiritualité mariale    Auteurs                                 

cliquer sur  Textes disponibles en français

Deus absconditus, anno 102, n. 4, Ottobre-Dicembre 2011, pp. 57-67

 

 

Sr. Marie-Cécile Minin osb ap

La Sainte Trinité et la Vierge Marie
dans la pensée de Mère Mectilde de Bar

Dans ses chapitres et conférences, véritables méditations mariales, Mère Mectilde de Bar s’arrête selon les moments liturgiques sur telle ou telle qualité de Marie, telle ou telle étape de sa vie.

Parmi les évènements rappelés dans la liturgie, seule l’Annonciation et la visitation ont un fondement biblique. Les autres ont été transmis par la tradition vivante de l’Église. Mère Mectilde, qui vit, pour ainsi dire, au pas de la liturgie, en a fait l’objet de son enseignement à ses moniales. Son chemin spirituel a pour base la liturgie, s’appuie sur le liturgie parce qu’elle vit dans et de la liturgie. Toute la vie de Mère Mectilde de Bar est en fait liturgique, parce ce que chrétienne, monastique, bénédictin.

Dans sa méditation mariale, Mère Mectilde considère Dieu qui intervient à chaque étape de la vie de Marie et qui communique ce qu’il est en lui-même, c’est-à-dire « amour ».

Avec elle nous nous arrêterons sur cette présence trinitaire qui ne fit pas défaut à Marie, de sa Conception à son Assomption.

A chaque fois nous retrouverons ce regard posé sur la triple qualité de mère du Fils, de fille du Père et d’épouse de l’Esprit-Saint.

Présence trinitaire au moment de l’Immaculée Conception de Marie

Pour Mère Mectilde, la Sainte Trinité a orné la Vierge Marie de toutes les grâces en vue de sa maternité divine. « Comment aurait-elle pu être Mère de Dieu si elle avait été son ennemie un seul moment [1] » ? N’est-ce pas ce qui est affirmé en notre temps. «  Marie n’a pas seulement été sans péché dès le premier instant de son existence (comme Ève) ; c’est par une grâce spéciale, par un ‘privilège’ qu’elle l’a été [2] ». Ce qui nous éloigne de Dieu, c’est le péché. Or Marie, que l’Ange salue à l’Annonciation comme pleine de grâce, est sans péché. Elle est Immaculée dès sa Conception.

Aussi, est-ce à ce titre que Mère Mectilde demande qu’on honore « tout ce que les trois Personnes de l’auguste Trinité ont opéré en elle [3] ».

Mère Mectilde a conscience que toute œuvre opérée ad extra est commune aux trois Personnes divines. Elle pèse ses mots. Elle insiste plusieurs fois sur le fait que Marie connaît Dieu dès sa Conception Immaculée. Pour affirmer cela, elle s’appuie sur les Pères de l’Église. Mère Mectilde dit en effet :

Vous êtes bienheureuse dès le sacré moment de votre Immaculée Conception. Vous avez vu Dieu en son essence divine, selon les sentiments de quelques Pères de l’Église, et votre petite âme tirée du néant, dès cet instant a été unie très parfaitement à Dieu ; elle l’a aimé d’un amour déifiant, elle est demeurée en lui par un entier anéantissement de toute elle-même. Vous avez connu Dieu et jamais ne lui avez déplu [4].

Il s’agit ici de la part de Mère Mectilde d’une pieuse exagération sans fondement théologique qui vise à exprimer la foi très vive de Marie, foi inégalée parmi les créatures du fait de la plénitude de grâce à elle conférée. En effet, « Bien que certains théologiens, encore de nos jours, aient cru pouvoir attribuer à Marie, la plupart de façon transitoire, quelques uns de façon habituelle, la vision immédiate de la divinité, on doit sans hésiter, et conformément à toute la tradition, dire qu’elle avait purement et simplement la foi [5] ».

 Marie a vécu de foi. Comme toute créature elle a cheminé dans la foi [6]. Elle n’avait pas la vision immédiate de Dieu car elle était créature. Créature plus parfaite que toutes les autres, certes, première rachetée, joyau de l’humanité :

Son pèlerinage de foi exceptionnel représente une référence constante pour l’Église, pour chacun individuellement et pour la communauté, pour les peuples et les nations, et en un sens, pour l’humanité entière [7] .

Cependant Mère Mectilde ne s’arrête pas là. Elle découvre Marie « comme la Choisie du Père, la Bien-aimée du Fils et les délices du Saint-Esprit [8] ».

Elle insiste sur la communion parfaite qui existe entre Dieu et Marie :

Vous êtes faite dès ce précieux moment le temple de l’adorable Trinité, et jamais Dieu n’a été un moment séparé de vous [9].

Ce qui ne signifie nullement dans la pensée de Mère Mectilde que Marie soit au même rang qu’une personne divine mais « le Saint Esprit qui a fait d’elle son Temple dès le premier instant de son existence n’a cessé de la conduire [10] ».

Enfin pour Mère Mectilde, Marie se réfère toute à Dieu. C’est la raison pour laquelle elle s’écrie :

O grâce incompréhensible et que je ne puis assez admirer, ni donner les éloges qu’elle mérite, de vous voir toujours tenue en une parfaite union à Dieu, toujours obéissante à ses lois, toujours animée de son Esprit, toujours fidèle, Virgo Fidelis, et toujours brûlante de son amour, vivante en lui et de lui-même, mais d’une manière inexplicable aussi bien qu’incompréhensible à l’esprit humain [11].

E pour reprendre les mêmes expressions prononcées par Benoît XVI au cours de l’Angelus du 8 décembre 2007, ceci arrive parce que “le mystère de la grâce de dieu a enveloppé dès le premier instant de son existence la créature destinée à devenir la Mère du Rédempteur, en la préservant de la contagion su péché originel ». Le Saint Père ajoute : «  en la regardant, nous reconnaissons la hauteur et la beauté du projet de Dieu pour chaque homme : devenir saints et immaculés dans l’amour, à l’image de notre créateur »[12].

Présence trinitaire au moment de la Nativité de Marie

Mère Mectilde considère souvent l’existence de Marie dans la pensée de Dieu « dès avant la fondation du monde ». Elle se réjouit de son « Élection éternelle [13] ». Comment ne pas penser à ce que saint Paul disait aux habitants d’Éphèse : « C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour [14] ». Et la première à être sainte et immaculée, c’est la Vierge Marie. C’est pourquoi Mère Mectilde demande à ses moniales de la vénérer spécialement :

Saluez-la comme la Fille de Dieu, destinée pour être mère du Fils, et pour être l’épouse du Saint Esprit [15].

 Dans la formulation de sa pensée, Mère Mectilde essaie d’être très précise. En effet, elle emploie ici l’expression Fille de Dieu et non pas Fille du Père. Parlant de Marie,  elle dira aussi en un autre endroit que le Père l’a choisie pour sa Fille. Elle évite ainsi la confusion et l’équivoque qui pourrait faire croire à une filiation pour Marie du même ordre que celle du Fils éternel, consubstantiel au Père. On voit clairement la distinction opérée ici. Cette prudence et cette clarté de Mère Mectilde sont appréciables car elles nous permettent de mettre en valeur la netteté de sa pensée dans tout ce qui concerne sa dévotion  mariale. Dans ses chapitres et conférences sur Marie elle remet à plusieurs reprises les choses au point disant par exemple :

« Je sais que nous ne devons point lui attribuer directement ce qui n’est dû qu’à Dieu. Dieu est, par son essence, indépendant, et qu’elle [Marie] ne l’est pas, n’ayant rien qu’elle n’ait reçu de Dieu [16] ».

Le thème de la prédestination de la Vierge Marie évoqué par Mère Mectilde est repris par le Catéchisme de l’Église Catholique :

‘Dieu a envoyé son Fils’, mais pour lui ‘façonner un corps’ Il a voulu la libre coopération d’une créature. Pour cela, de toute éternité, Dieu a choisi, pour être la Mère de son Fils, une fille d’Israël, une jeune juive de Nazareth en Galilée, ‘une vierge fiancée à un homme de la maison de David, et le nom  de la vierge était Marie’ [17].

Mère Mectilde évoque aussi l’idée suivante. La capacité de la Vierge Marie était très grande, car ayant reçu la plénitude de la grâce, elle a pu rendre « en ce moment plus de gloire à Dieu [18] ».

Mère Mectilde saisit bien que Marie ayant pleine connaissance de ce qu’elle est de par la volonté de Dieu, tire, de ce qui la glorifie le plus devant Dieu et les hommes, matière à un anéantissement d’elle-même sans proportion. Pourquoi ? Parce qu’ayant tout reçu de Dieu, elle rend tout à Dieu.

Et c’est parce qu’elle s’est abaissée que Dieu l’a élevée plus haut que tout. Ainsi, elle peut dire avec saint Paul : « nous n’avons pas reçu, nous, l’esprit du monde ; mais l’Esprit qui vient de Dieu, pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits [19] » .

Présence trinitaire au moment de la Présentation de Marie au Temple

Dans un chapitre, Mère Mectilde évoque l’offrande d’elle-même faite par Marie en qualité de victime. Elle dit qu’à ce moment de sa naissance « la Sainte Vierge, dans la connaissance de ce qu’elle est en elle-même, s’abaisse, s’anéantit... s’offre à Dieu comme victime pour être sacrifiée [20] ».

Victime, sacrifiée, voilà des termes qui peuvent nous paraître durs et dépassés. Ils évoquent la souffrance, la mort, et de ce fait nous avons une tendance, naturelle d’ailleurs, à les rejeter. Jésus lui-même, à Gethsémani, étant « entré en agonie, priait de façon plus instante et sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient par terre [21] » et selon l’auteur de l’Épître aux Hébreux « c’est lui, qui aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de sa piété, tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrît, l’obéissance [22] ».

Cependant, il convient de s’arrêter un peu sur le mot sacrifice afin d’en dégager le sens premier. Ce mot, rappelons-le, vient du latin sacrificium, provenant lui-même de sacrum facere, faire un acte sacré, rendre sacré. Il « évoque littéralement l’idée d’action sacrée par excellence, que l’on fait sur des biens sensibles, en vue de les mettre à part, de les réserver symboliquement à Dieu, pour les lui offrir et les lui transférer en signe de la dépendance que l’on a à son égard et du respect unique qu’on lui doit [23] ». Le sacrifice est donc l’acte tendant à rendre sacré ce sur quoi il s’accomplit. Une personne consacrée est, de ce fait, sacrifiée car elle appartient à Dieu seul par un acte libre de sa volonté.

Aussi, dans la pensée de Mère Mectilde, au moment de la Présentation au Temple de la Vierge Marie, nous assistons à la première concrétisation extérieure de l’acte intérieur qu’elle a posé devant Dieu, en d’autres termes de son désir intérieur d’être toute à Dieu, de ne vivre que pour Lui, par Lui et avec Lui, de Lui appartenir totalement. C’est pourquoi elle dit :

Jusques alors il n’ y avait point eu de sacrifices ni de victimes agréables à Dieu. Tout avait été corrompu par le péché, et si Adam avait été créé en grâce, il n’y avait guère persévéré. Le péché avait tellement défiguré l’image de Dieu qu’elle ne se trouvait plus dans aucune créature. C’est pourquoi le plus grand plaisir que Dieu a eu dans cette pure et innocente créature a été de se retrouver en elle. Il s’y est vu comme dans un miroir, et voilà ce qui l’a charmé et rempli d’admiration, et la joie qu’il en a eue a été si grande que quoiqu’elle soit son ouvrage, il la regarde aujourd’hui avec autant de complaisance que s’il ne l’avait jamais vue. Toute la très Sainte Trinité s’est écoulée en elle avec une telle plénitude de grâces qu’il fallait une capacité telle que celle que Dieu lui avait donnée pour les contenir toutes [24].

Ici aussi, nous trouvons chez Mère Mectilde la triple appellation dont elle aime orner Marie. Elle la salue, en effet, comme spécialement aimée par la Sainte Trinité :

Le Père la regardant et l’aimant comme sa fille, le Fils qui ne s’est point encore incarné, étant aussi grand et aussi puissant que lui, ne lui devant rien, voyant le plaisir que Dieu son Père prenait dans cette petite créature, dit en lui-même : si une pure créature est capable de lui donner tant de plaisir, que sera-ce donc de celui qu’il recevra par mon humanité ? Je me ferai homme afin de lui donner un plaisir et une joie infiniment plus grande que celle qu’il reçoit aujourd’hui. Et il la regarda dès ce moment comme celle qui devait être sa mère, le Saint Esprit comme son épouse, et en ces trois qualités elle fut comblée par les trois divines Personnes [25].

Pour Mère Mectilde, Marie a pleinement conscience de l’acte qu’elle pose, quoique son âge puisse faire penser le contraire. Elle dit bien que « son action n’est pas l’action d’un enfant de trois ans [26] . Nous retrouvons de nouveau, l’idée déjà évoquée plus haut quant à la vision immédiate de Dieu que possédait Marie. Il est évident, et les textes de Mère Mectilde le montrent assez, que Marie, Mère de Dieu, avait une foi exceptionnelle. Mère Mectilde n’évacue pas la foi chez Marie. La foi étant ce qui nous permet de voir les réalités invisibles, Marie voyait Dieu avec les yeux de sa foi qu’aucun péché ne venait ternir. Et sa foi exceptionnelle la conduisit à cet instant de l’Annonciation où plus que jamais la Sainte Trinité était présente.

Présence trinitaire au moment de l’Annonciation

D’emblée Mère Mectilde se place au niveau de la maternité divine de la Vierge Marie. Dans un Acte pour le Jour de l’Incarnation elle honore plus spécialement le « moment sacré et ineffable ... par lequel vous élevez cette immaculée Vierge à la qualité de Mère d’un Dieu [27] ». On retrouve l’expression Mère de Dieu plus de quatre vingt fois dans les conférences et chapitres sur Marie. Mère Mectilde souligne donc fortement la qualité de mère de Dieu de Marie « de qui nous devons tout attendre », et parle de « la très singulière grâce qu’elle a reçue étant faite Mère de Dieu [28] ».

En effet, la maternité divine est par elle-même une grâce singulière. La Mère de Dieu, elle, est sujet de grâce, étant une personne.

Marie n’a pas été ‘choisie’ entre les femmes existantes, car elle n’a été voulue et créée que pour être la mère de Dieu, de sorte que son appel à l’existence est indissociable de son élection. Elle n’en est pas moins, par cette élection, discernée de toutes les autres femmes. [29]

 

La Vierge Marie est gratifiée de ce don insigne : être la Mère du Verbe.

Nous rencontrons là un principe qui commande toute l’économie du salut, et qui trouve en théologie mariale une application privilégiée : d’une part toutes les créatures sont au service de Dieu, et spécialement toute participation créée à l’histoire du salut est d’abord un service, tout ordonné à Dieu (et au Christ). Mais d’autre part, tout ce que fait Dieu ad extra est pour l’exaltation de la créature, de sorte que quand il se sert d’une créature libre pour l’œuvre du salut, qui est le don qu’il fait de lui-même aux créatures spirituelles, la créature dont il se sert est la bénéficiaire privilégiée du bien à la diffusion duquel elle est appelée à coopérer. Ainsi : c’est pour s’incarner -et donc pour tous les hommes- que le Verbe a voulu avoir une mère ; mais d’avoir été choisie pour remplir ce rôle est, pour Marie, un honneur singulier, une grâce unique [30].

La dévotion au Verbe incarné va de pair chez Mère Mectilde avec la dévotion envers Marie, Mère de Dieu. En l’appelant Mère de Dieu, elle fait ressortir la qualité de Mère du Verbe incarné de la Vierge Marie. “Certainement n’a pas échappé à la contemplation des mystiques l’étonnante  réalité de la Vierge en tant que celle qui a un rapport très spécial avec Dieu Amour dans la Trinité. Lors de l’annonciation, Dieu se manifeste à Marie comme Père, Fils et Esprit Saint. Et Marie devient une épiphanie de l’amour trinitaire”[31].

Dans son Acte pour le jour de l’Incarnation, Mère Mectilde laisse percer l’image du sacrifice en parlant de son état de victime consommée sur le Calvaire. De plus, en filigrane se profile à nouveau l’idée évoquée dans chacun des paragraphes précédents où Mère Mectilde voit en Marie la triple fonction de fille, de mère et d’épouse. Voici le début de cet Acte :

Jésus, Verbe divin et éternel, qui descendez du trône de votre gloire sortant en une manière du sein de votre Père pour venir dans le sein virginal de Marie vous revêtir de nos misères et faiblesses et vous faire la victime de tous les péchés du monde, j’adore le moment sacré et ineffable auquel vous vous plongez dans cet abîme d’anéantissement infini, et par lequel vous élevez cette immaculée Vierge à la qualité de Mère d’un Dieu.

Ô changement admirable et plein d’étonnement, le Verbe divin devenir Enfant et celle qui l’engendre dans le temps devenir la fille, la mère et l’épouse d’un Dieu [32].

Cette pensée semble chère à Mère Mectilde car, comme on l’a vu, on la retrouve plusieurs fois dans ses écrits.  Lorsqu’elle parle de Marie comme épouse du Saint-Esprit,  il convient cependant de faire attention.

En effet « il y a (...) un danger d’équivoque à dire qu’elle était l’épouse du Saint-Esprit : disons seulement que pour elle, comme pour tout saint, il était l’agent de sa prédestination, celui qui la conduisait : mais qui l’avait conduite d’abord à ce terme prodigieux, la maternité divine [33] ».

Nous retrouvons cette triple formulation dans les textes du concile Vatican II exprimé de la façon suivante : « Rachetée de façon éminente en considération de son Fils, unie à lui par un lien étroit et indissoluble, elle reçoit cette immense charge et dignité d’être la Mère du Fils de Dieu, et par conséquent, la fille de prédilection du Père et le sanctuaire du Saint-Esprit [34] », le terme employé étant « sanctuaire » et non « épouse ».

Comme a écrit Stefano de Fiores: “Plus que lieu ou espace, Marie est une personne, mieux, la première personne de l’histoire (…) qui a contracté des liens relationnels avec Dieu unitrine (…) A l’action de la Trinité en elle, dans son sein et dans son cœur, Marie répond avec des attitudes spirituelles  par rapport à chacune des trois personnes divines qui constituent sa personnalité religieuse : louange joyeuse à dieu Père qui montre en elle son visage puissant et miséricordieux, saint et fidèle, foi dans le Christ comme messie et Fils de Dieu  fait homme dans son sein, accueil de l’Esprit Saint comme nuée lumineuse qui la couvre de son ombre en la transformant en sa demeure” [35]

Mère Mectilde a conscience que l’Annonciation est « la révélation du mystère de l’Incarnation au commencement même de son accomplissement sur la terre [36] ».

De son Incarnation à sa Résurrection, passant par sa Passion et sa mort , le Christ nous a réouvert le chemin vers son Père et notre Père, son Dieu et notre Dieu [37] et la première et seule rachetée à avoir été introduite avec son corps dans la gloire, c’est la Vierge Marie.

Présence trinitaire au moment de son Assomption

Nous avons vu comment la Sainte Trinité était présente à toutes les étapes de la vie de Marie, depuis son Immaculée Conception, en passant successivement par sa Présentation au Temple, cet instant unique de l’Annonciation au cours duquel nous fut donné le Sauveur par le fiat de Marie. Puis, Marie s’efface devant la Passion du Seigneur pour laisser toute la place au mystère du Fils. Le pèlerinage terrestre de Marie se termine avec son Assomption, son « triomphe », comme aime à le dire Mère Mectilde. Ce « triomphe », pour reprendre ce terme, commence avec la mort de Marie qui est une mort d’amour.

Mère Mectilde s’arrête plusieurs fois sur la mort de Marie qui ressemble plus à un sommeil.

Méditez la mort de la Très Sainte Vierge. C’est demain que l’amour la consomme, car c’est un effet d’amour qui lui ravit la vie qu’elle a commencée en amour au moment de son Immaculée Conception, en son progrès vécu d’amour, et est morte d’amour. Oui, l’amour consomme dans ce dernier moment la vie de la Mère de Dieu [38].

Ainsi, l’amour qui a animé toute la vie de Marie fait sa consommation. Or, Dieu est Amour [39]. Toute la vie de Marie a été enveloppée par l’amour de Dieu et elle a parfaitement correspondu à la grâce, rendant à Dieu tout ce qu’il lui donnait. C’est la créature rachetée qui a été, est et sera la plus capable de Dieu. Comme nous le dit Mère Mectilde « tenant tout de Dieu, elle rend tout à Dieu » y compris sa vie. « Elle meurt non seulement en l’amour et pour l’amour de Dieu, elle meurt d’amour [40] ».

Mère Mectilde du Saint-Sacrement médite longuement sur la manière dont s’est effectué le passage en Dieu de Marie.

La mort de la Très Sainte Mère de Dieu a été une mort surnaturelle où la faiblesse de la nature ni la caducité de l’âge n’a en rien contribué. Tout était en elle si bien composé que, quoique son amour fut extrême, ses forces étaient proportionnées. Sa mort n’a rien de commun avec les autres créatures, car c’est plutôt un sommeil qu’une mort. Dieu l’ayant laissée sur la terre plusieurs années après la mort et la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ par un effet de sa miséricorde, pour consoler, fortifier et éclairer par ses exemples l’Église naissante, il l’a ensuite retirée de ce lieu de bannissement pour la couronner de gloire et lui donner un rang digne de son mérite, au-dessus de toutes les hiérarchies, et un pouvoir sans égal [41].

Mère Mectilde souligne aussi cet autre aspect de l’Assomption de Marie, qui est sa glorification et son élévation au-dessus de toutes les créatures. Sa gloire est intimement liée à sa maternité divine. Elle le dit dans une conférence pour le jour de l’Immaculée Conception :

La Très Sainte Vierge connaît tous nos besoins. Il n’en est pas d’elle comme des autres saints dont la gloire est limitée, et qui ne voient dans l’essence divine que ce qu’il plait à Dieu leur découvrir. Pour la Très Sainte Mère de Dieu, comme infiniment élevée au-dessus des plus élevés séraphins, elle a aussi un degré de gloire et d’élévation qui lui est particulier, en sorte qu’elle voit tout en Dieu, elle connaît dans l’essence divine tout ce qui se passe sur la terre... son pouvoir n’est point limité, après Dieu, rien n’est si grand ni si saint. Il suffit pour le comprendre de savoir qu’elle est Mère de Dieu [42].

Ainsi, c’est la maternité divine de la Vierge Marie qui est son titre de gloire.

Si Dieu appelle une femme à devenir sa mère, il ne peut pas ne pas la gratifier des dons de grâce sans lesquels elle ne pourrait être sa mère que corporellement, c’est-à-dire d’une manière non personnelle, non humaine  [43].

Marie est prédestinée d’abord à être Mère de Dieu , et en raison de cela, elle est prédestinée à la plus haute sainteté particulière [44].

Tout au long de cette réflexion sur la Sainte Trinité et la Vierge Marie dans la pensée de Mère Mectilde, nous avons eu en filigrane cette évocation du « regard » que la Sainte Trinité pose sur Marie aux différentes étapes de sa vie. Au moment de son Assomption nous retrouvons de nouveau ce regard. Mère Mectilde dit en effet :

Toute la Très Sainte Trinité la regarde avec des yeux de complaisance en son entrée dans le Ciel pour la combler de gloire et de mérite : le Père Éternel comme sa Fille, le Fils comme sa Mère, et le Saint-Esprit comme son Épouse bien-aimée [45].

En vivant elle-même le mystère de l’alliance, en se remettant à l’action de l’Esprit saint, en intériorisant la Parole, la Verge Marie a prononcé un “oui” personnel et définitif à la pro position de vivre en communion avec Dieu-Trinité, “en participant par grâce à la nature divine (cf 2Pt 1,4) et en demeurant en elle par l’amour ”.  [46]

Oui, dans la vie de Marie, la Trinité est présente de son aurore à sa glorification. Marie est le joyau de l’humanité et la pure gloire de Dieu. Et pour reprendre les propres termes de Mère Mectilde : « elle est la joie du Paradis [47] », et la plus grande joie de Marie est de nous donner à son Fils et de nous donner son Fils, Jésus-Christ Notre-Seigneur. Apprenons à connaître le Fils à travers la Mère et la Mère à travers le Fils. Mère Mectilde nous y invite plus que jamais.

 



[1] Conférence n° 175 (10/1).

[2] Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique : de la Trinité à la Trinité, éd. Beauchesne, Paris, 1985, p. 489.

[3] Conférence pour le Saint Temps des Avents, n° 245 (3/1).

[4] Conférence n° 2803 (9/1).

[5]Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique, p. 475.

[6] Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 165.

[7] Redemptoris Mater n° 6, p. 11.

[8] Conférence n° 2803 (91/).

[9] Conférence n° 2803 (9/1).

[10] Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique, p. 494.

[11] Conférence n° 2803 (9/1).

[12] Benedetto XVI, Maria, Madre del Sì, Pensieri Mariani II, a cura di Lucio Coco, Libreria editrice Vaticana, 2008, p. 23.

[13] Conférence n° 2803(9/1).

[14] Eph. 1, 4.

[15] Conférence n° 1976 (149/1).

[16] Conférence n° 1200 (51/1).

[17] Catéchisme de l’Église Catholique, n° 488.

[18] Chapitre n° 2374 (148/1).

[19] 1 Cor 2, 12.

[20] Chapitre n° 2374 (148/1).

[21] Lc 22, 24.

[22] He 5, 7-8.

[23] A. Gaudel, art. « Sacrifice » dans Dictionnaire de Théologie catholique, fascicule 25-27, Paris, 1938, col. 662.

[24] Entretien familier du jour de la Présentation de la très sainte Vierge, 1696, dans Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, Catherine de Bar, Entretiens Familiers,  p. 114 et 115.

[25] Entretien familier du jour de la Présentation de la très sainte Vierge, 1696, op. cit., p. 115.

[26] Conférence n° 1050 (187/1).

[27] Acte pour le jour de l’Incarnation, n° 1545 .

[28] Conférence n° 121 (61/1).

[29] Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique, p. 473. Cf. note 10.

[30] Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique, p. 472-473..

[31] Stefano de Fiores, Trinità, mistero di vita, Esperienza trinitaria in comunone con Maria, San Paolo, Milano, 2001, p. 114.

[32] Acte pour le Jour de l’Incarnation  n° 1545.

[33] Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique  p. 476.

[34] Lumen Gentium n° 53, p. 103.

[35] Stefano de Fiores, Trinità, mistero di vita o.c., p. 215-216.

[36] Redemptoris Mater n° 9, p. 19.

[37] Cf. Jn 20, 17.

[38] Chapitre n° 2170 (142/1).

[39] Cf. 1 Jn  4, 7.

[40] Conférence n° 1067 (141/1).

[41] Conférence n° 2586 (144/1).

[42] Conférence n° 175 (10/4 et 6). Cf. Catéchisme de l’Église Catholique, n° 906.

[43] Jean-Hervé Nicolas, o.p. Synthèse dogmatique, p. 473.

[44] Ibid  p. 475.

[45] Conférence n° 2586 (144/2).

[46] Stefano de Fiores, Trinità, mistero di vita o.c., p. 288.

[47] Conférence n° 2586 (144/2).